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 Franchir le pas - Alea

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YulVolk
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MessageSujet: Franchir le pas - Alea   Franchir le pas - Alea Icon_minitimeMer 30 Juil 2014 - 20:38

Pseudo de l'auteur : Alea

Nombre de chapitres : 10
Rating de l'histoire : G
Genre de l'histoire : Romance

Résumé de l'histoire : /

Remarques diverses : /

Terminée et Corrigée
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MessageSujet: Re: Franchir le pas - Alea   Franchir le pas - Alea Icon_minitimeMer 30 Juil 2014 - 20:39


Chapitre 1


J'ai rencontré Chantal au boulot, dans le cadre d'un remplacement : j'aime bien bosser en remplacement, c'est à ma demande d'ailleurs. Ça me permet de faire plein de rencontres, et de ne pas m'appesantir, de ne pas avoir l'impression de m'encroûter au même endroit. Bon, là, ça n'a pas raté, sauf qu'en ce qui concerne Chantal, on ne peut pas dire qu'on ait été copines de prime abord…

C'est sûrement un peu ma faute d'ailleurs…Vu la différence d'âge, je l'ai vite rangée dans " les anciennes ", avec lesquelles j'ai -ou plutôt j'avais, j'ai pas mal évolué depuis quelques temps…- plutôt pas d'atomes crochus. Les anciennes, elles ont deux attitudes envers les " ptites " remplaçantes : soit le mépris de nos incapacités supposées, soit la crainte d'être supplantées (à tous les niveaux d'ailleurs ; on peut même ressentir une rivalité) ; en gros, et pas toujours bien sûr. Mais voilà, moi je m'entends bien tout de suite avec les jeunes et j'ai pas trop envie de me casser la tête avec des femmes " rangées " avec qui je n'ai en général pas trop de points communs. Je parle des femmes ; pour les mecs, il peut y avoir le même genre de réactions chez les anciens ; et puis, jeunes ou vieux, mariés ou pas, une certaine ambiguïté bien sûr. Mais bon, c'est pas le sujet. Et même vraiment pas.

Chantal, donc, c'est à peine si je l'ai remarquée. On a discuté boulot deux ou trois fois, de façon très neutre et c'est tout. J'ai juste remarqué deux choses qui la distinguaient des autres collègues : sa manière de se fringuer, avec un désintérêt vraiment évident pour tout ce qui se rapporte à l'apparence et aucune envie de se mettre en valeur -pas de maquillage, pas de bijoux, aucune recherche vestimentaire, c'est à dire toujours le même système jean, chemise et pull, avec des chaussures plates. Et d'autre part, comment dire… sa discrétion. Elle ne parlait jamais d'elle, et surtout pas de son mari ni de ses gosses, à la différence des collègues femmes qui nous bassinent à tue-tête avec leur vie de famille à chaque pause-café. Ça, donc, c'était plutôt un bon point pour Chantal, surtout que moi, en m'approchant des 30 ans, toujours célibataire, je ne suis pas toujours à l'aise avec ces nanas qui ont parfois mon âge et dont la vie est toute tracée, si pleine et passionnante. Enfin bref.

Ceci dit, j'avais tendance à penser que les gens qui ne parlent pas n'ont rien à dire, et donc Chantal ne m'a pas paru intéressante ; en gros j'imaginais qu'il ne se passait rien dans sa vie, que c'était une vieille fille tranquille. Je ne sais pas comment j'ai su qu'elle était mariée, en fait, même si les gens du boulot n'avaient jamais vu le mari. Il m'a fallu un peu de temps pour comprendre que cette discrétion, c'était simplement une extrême pudeur. Chantal n'est pas timide, elle est à l'aise dans son boulot, elle y a ses amitiés -ses inimitiés aussi, même si elles sont plutôt rares. Mais elle n'aime pas mélanger le boulot et la vie privée, en résumé. Pas mal de collègues aiment discuter, aux pauses, de leur week-end, de leurs amours, de leurs loisirs, tout ça ; Chantal, non. Au boulot, elle ne parle que boulot. Par contre, quand on la voit au dehors, elle déconnecte complètement ; et on la reconnaît à peine, en fait -sur le plan du caractère, au moins ; côté apparence, elle se lâche encore plus, c'est à dire qu'elle se fringue carrément comme un sac et je crois qu'elle y prend un malin plaisir. Mais pour le savoir, pour imaginer cette " autre Chantal ", il fallait d'abord que j'aie l'occasion de la voir au-dehors du boulot.

Cette occasion m'a été donnée par une collègue commune, une fille de la boîte de Chantal, de mon âge, avec qui j'avais sympathisé du temps de mon remplacement et gardé contact ; un jour où on avait prévu une bringue, elle m'a proposé d'en parler à Chantal ; sur le coup ça m'a étonnée et Tania, donc, la " jeune " copine, qui elle, avait bossé plusieurs années avec Chantal et l'avait vue à l'occasion des pots et de quelques soirées conviviales entre collègues, m'avait dit qu'en fait c'était une fêtarde. A vrai dire j'avais du mal à y croire mais bon, je m'en foutais un peu, elle pouvait bien être de la fête, pourquoi pas ?

Hé ben, j'ai pas été déçue; j'ai vite compris qu'en effet, elle avait une bonne pratique de la fête en général, des fêtes en tous genres d'ailleurs, et aussi des sorties en ville. D'ailleurs même si elle habite un trou perdu, elle connait la ville mieux que moi, pour y avoir vécu plusieurs années " dans son jeune temps " ; j'ai vu aussi très vite qu'elle supportait bien l'alcool et qu'elle savait se tenir ; elle n'allumait pas les mecs, ne monopolisait pas la conversation, mais n'était pas non plus potiche ou planquée dans un coin. Bref, sans me rendre jalouse -j'ai un tempérament amical assez possessif- elle a su se faire des copains et des copines parmi les gens que je lui ai fait connaître, dont des amis assez proches ; je lui ai d'abord présenté tout mon petit monde un peu en vrac, sans cérémonies, de lointains collègues comme elle, en même temps que des amis très proches, comme Stef. Et bon, elle ne " gênait " pas, c'était déjà pas mal, elle était plutôt agréable, d'humeur égale, serviable, généreuse, marrante, toujours pleine d'entrain. Du coup la différence d'âge -on a 12 ans d'écart, elle a une petite quarantaine- a eu tendance à se gommer et Chantal s'est facilement fait accepter parmi nous, même si on n'a pas toujours la même culture ; par exemple moi je suis fan de mangas, et ça la gave visiblement ; et puis j'aime les gadgets numériques, les appareils photos, les ordis portables, les i-pod et tout ça, je suis complètement accro à MSN qu'elle ne sait pas utiliser, et à mon téléphone mobile alors qu'elle manipule le sien avec une maladresse… touchante. Bon, ceci dit, maintenant que je la connais très bien, je sais qu'elle a tendance à jouer les candides alors qu'elle ne l'est pas complètement, un peu par paresse ou par modestie, un peu par esprit, comme elle dit, de facétie. C'est pour ça aussi qu'elle se fringue comme un sac : ceux qui s'arrêteront à ça, ébin, s'élimineront d'eux-mêmes…

Bref, elle est venue à plusieurs de mes teufs, et, sans dire que j'ai commencé à l'apprécier à ce moment-là, je l'ai trouvée assez fréquentable. Il y a eu surtout une soirée révélatrice, enfin une fin de soirée, à la maison. D'abord elle a tenu jusqu'au matin, ce qui n'a pas été le cas de tout le monde. On s'est retrouvées, comme souvent, en petit groupe, on devait être quatre, vers 4-5h du mat. Que des filles, c'est à dire sans motivation de drague -des fois y a des mecs qui restent, mais c'est qu'ils en ont une en vue- et on a pu causer, disons, de façon assez personnelle, voire sérieuse. En tout cas ce n'était pas une discussion superficielle, comme on en a quand on est en bande -Chantal dit " en bordée ". Et Chantal avait de la conversation, pour de bon. C'est la 1ère fois peut-être que la différence d'âge est revenue sur le tapis, mais de manière positive, constructive, et sans non plus qu'elle nous assomme avec " sa grande expérience ". Puis à un moment Chantal a proposé d'aller acheter les croissants, et elle s'est relevée, et là, on a toutes vu qu'elle tenait à peine sur ses jambes, elle flageolait. Je pense qu'elle s'en rendait compte, mais son discours restait parfaitement cohérent. Et donc, on l'a laissée aller chercher les croissants à la boulangerie d'en bas, à 20 mètres. On a bien rigolé entre nous de l'avoir vue sur ses jambes chancelantes, mais à vrai dire j'étais assez admirative de sa clarté d'esprit, dans un tel état. Je dois dire qu'elle avait continué à boire pendant qu'on discutait, un alcool blanc que j'avais là. Bref, elle était complètement saoule, mais parfaitement lucide et encore intéressante, et j'ai trouvé ça costaud. Aussi, je ne sais pas si c'est sur le coup ou après réflexion, j'ai pensé qu'elle ne pouvait qu'être franche comme l'or, car vu l'état dans lequel elle était, s'il y avait eu le moindre vice dans la machine, je m'en serais rendue compte à ce moment-là. Et sur ce point, je n'ai pas changé d'avis depuis. Jamais d'entourloupe, de malhonnêteté, de pensées troubles, de mensonge. Franche comme l'or, je disais ; je pourrais ajouter bonne comme le pain, solide comme le roc et fiable… … fiable comme Chantal.

Il y a eu une autre fois où je l'ai découverte, où on s'est découvertes je crois. C'était après une sortie à la montagne; elle avait été emmenée par des copains, et c'est moi qui l'ai ramenée chez elle, pour des raisons pratiques. On s'est donc retrouvées toutes les deux dans ma voiture, sur un assez long trajet, et pour la première fois on a parlé boulot. Sans se le dire, du moins à ce moment-là, on s'est trouvé pleins de points communs ; ni hauteur ni rivalité de son côté, une expérience qu'elle avait envie de communiquer et une grande ouverture d'esprit. J'ai énormément apprécié cette discussion, parfois pointue, spécialisée, toujours sincère. A partir de ce jour-là, j'ai aussi compris que si elle était aussi sérieuse au boulot, c'était parce qu'elle aimait ce boulot, justement, et qu'elle voulait le faire de son mieux. C'est aussi ma position, même si je l'exprime autrement, et à compter de ce jour-là, mon point de vue professionnel sur elle a changé ; d'un coup, elle est presque devenue un modèle, celle que j'aurais envie d'être dans ce boulot. Je ne sais pas si elle s'en est rendue compte ; par la suite, une ou deux fois, je lui ai demandé conseil, mais c'était très informel ; on ne peut pas discuter sérieusement dans une ambiance de fête, et nous n'avions pas de raison de nous retrouver dans un autre cadre, moins superficiel.

La dernière chose à mentionner, dans l'évolution de nos relations, a été l'apparition de Boris, son mari, dans notre petite équipe. Un peu comme elle, il fait bien plus jeune que son âge ; et comme elle, il a beaucoup de distance avec l'apparence. Ils font une belle paire, tous les deux, ils racontent des fois en rigolant qu'ils ont visiblement été pris pour des bouseux par des vendeurs à la FNAC ou ailleurs. Ils seraient même capables de prendre un faux accent campagnard… A part ça, il est plutôt bel homme, et gentil, serviable aussi. C'est ce qu'on appelle, souvent avec condescendance, un petit couple bien sympa. Je ne sais pas pourquoi elle a voulu l'introduire dans notre groupe, vu qu'il lui laissait une grande liberté et qu'il n'est pas, lui, en revanche, spécialement fêtard. Je crois qu'elle voulait lui montrer qu'il n'y avait pas " anguille sous roche ", qu'on était une bande de copains à géométrie variable mais bien gentille dans le fond ; le rassurer et l'associer, mettre des visages sur des prénoms ; peut-être aussi que quand on a commencé à devenir amis elle a voulu nous faire connaître quelqu'un qu'elle aime et dont elle partage la vie ; et qui partage la sienne. Ils sont ensemble depuis plus de vingt ans et très soudés ; nous les jeunes on a tendance à trouver ça mignon, sûrement, et un peu hallucinant aussi ; non c'est vrai, quoi, c'est drôle d'avoir un si " vieux couple " dans une groupe de copains, non ?

Enfin en tout cas ils s'y sont vite fait une place, et au fil des mois il y a une sorte de noyau dur qui s'est constitué, avec principalement Chantal, Stef mon " presque frère " et moi, plus Boris de temps en temps, une autre copine célibataire, Céline, et puis Mélanie ma grande copine fofolle, qui s'est trouvé un jules un peu après. Ce qui n'a pas été facile a vivre pour moi, parce que moi, ça fait maintenant plus de deux ans que je ne suis plus avec Hervé. Avec Mélanie on a eu une grande complicité quand on était en chasse toutes les deux, mais maintenant qu'elle est casée évidemment c'est plus pareil, tout ce qu'elle sait faire c'est essayer de me caser aussi, mais avec des plans foireux…

Et puis il y a tous les copains qui gravitent autour, les anciens collègues comme Tania que je revois de temps en temps, les copains de copains, ceux du lycée ou de la fac, ceux qui viennent faire un saut par là, les copines qui bossent à l'étranger et qui se font héberger… Il y a pas mal de pertes, beaucoup avec qui je me lie, et qui ne donnent plus signe de vie au bout de quelque temps ; c'est pour ça que je cours toujours après plus de rencontres : peut-être un peu par peur du vide. Mais aussi j'aime les gens, et surtout je suis curieuse. Curieuse d'autrui ; je dois me chercher encore. Au bout du compte, je suis au cœur d'un petit monde animé qui m'étourdit un peu, qui me fatigue parfois, mais dont j'ai bien besoin, pour oublier ma solitude. C'est dur d'être célibataire à presque trente ans. Le soir, j'aime bien rentrer et être tranquille avec mon chat ; mais quand même, une fois sur deux je ne tiens pas longtemps et je me connecte à MSN, et une fois sur deux encore, il y en a un ou une qui se sent seul(e) aussi ; et le plus souvent, c'est Stef, qui habite à deux pas d'ici et qui est célibataire et très disponible aussi. On se retrouve souvent tous les deux, on se fait des petites bouffes, on papote. Pour moi c'est le mec idéal, Stef ; beau garçon, bonne situation, sensible, plein d'humour. Heureusement qu'il m'a dit assez vite qu'il ne s'intéressait pas aux filles, avant que je m'emballe ! Donc il est devenu mon presque frère ; et on a pris l'habitude de se retrouver, avec Chantal, parfois donc Boris et Céline, quasiment tous les samedis soir, et parfois plus, selon les occasions. Avec Céline on part en chasse, on sort toutes les deux, mais c'est pas évident, elle n'est pas trop extravertie et c'est pas aussi facile qu'avec Mélanie de rencontrer du monde. Et puis ça me fatigue un peu, à la longue, on tombe toujours sur le même type de mecs, souvent à moitié bourré et pas intéressant… Je préfère un petit concert ou une soirée jeux avec les fidèles, Stef, Boris et Chantal…et c'est comme ça que les liens se sont noués.
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MessageSujet: Re: Franchir le pas - Alea   Franchir le pas - Alea Icon_minitimeMer 30 Juil 2014 - 20:39


Chapitre 2


J'ai fait la connaissance de L. à l'occasion de son remplacement chez nous, d'une durée de deux mois je crois ; ensuite elle a été appelée ailleurs.

Je dois bien avouer qu'au premier abord elle n'a pas excité ma sympathie. Elle était comme la plupart de ces remplaçantes qui ne s'investissent pas, sachant qu'elles vont partir dans quelques semaines ; je reconnais, ceci dit, qu'on ne leur confie pas trop de responsabilités non plus. S'ajoute à cette désinvolture, trop souvent, une critique implicite de notre façon de fonctionner, comme si ces petites jeunes prétendaient nous apprendre le métier. Bref, elle m'a mise en difficulté une ou deux fois, sans s'en rendre compte, pour des raisons organisationnelles. Mais je ne lui en ai pas tenu rigueur… D'ailleurs je vais tâcher de vite rattraper le coup avant de passer pour une vieille conne aigrie ! En fait je m'entends assez bien avec les petites jeunes, en général, pourvu qu'elles ne soient pas hautaines. Et à la vérité je ne peux pas reprocher à L. de s'être montrée méprisante, simplement indifférente, ce qui en soi peut malgré tout être blessant. Je sais maintenant que son passage chez nous a coïncidé avec sa rupture avec son ex, Hervé, et que ça a certainement eu une incidence sur son attitude, ses réactions ; peut-être s'efforçait-elle de paraître blasée en toutes circonstances. Par ailleurs, pour en avoir parlé avec des collègues d'autres services, je sais qu'on lui a reproché dans différentes circonstances cette désinvolture affichée. Mais quand j'en ai entendu parler, je la connaissais déjà mieux, je la fréquentais même, et j'avais son point de vue ; et j'ai compris que c'était seulement un genre qu'elle se donnait, cette imbécile. L. est sensible -peut-être trop. Elle doute beaucoup d'elle-même, de sa capacité à bien faire. Et, comme tant d'autres, elle le cache derrière un faux détachement, une presque arrogance qui donne une fausse image d'elle. Je ne le lui ai pas dit ; je me souviens qu'à son âge, où plutôt lorsque j'étais comme elle, un peu plus jeune me semble-t-il -plutôt vers 21-22 ans- fragile, manquant d'assurance, on me prenait pour une je-m'en-foutiste complète, négligente, indifférente… On m'a même reproché mes vêtements négligés -alors que j'ai toujours été d'une propreté exemplaire- sans comprendre que c'était par pure timidité que je me refusais à me mettre en valeur physiquement. Je crois que les gens prenaient cela pour de la provocation -alors que j'essayais seulement de passer inaperçue. Je reconnais que depuis, j'ai pris un peu d'assurance, et que ça relève plus volontiers d'une certaine facétie… Quoi qu'il en soit, L. ne m'a d'abord pas fait une très bonne impression ; aujourd'hui je regrette seulement de m'être complètement fourvoyée sur son compte ; je me reproche mon manque de lucidité, ou de psychologie. Mais cela n'aurait rien changé à nos relations de l'époque ; même si j'avais fait un geste d'ouverture ou de compréhension elle n'était pas prête, de son côté, à y répondre favorablement.

Enfin c'est ce que je me dis, mais la suite a prouvé le contraire, puisque c'est elle qui m'a ouvert sa porte, tout compte fait. Elle qui m'a reçue parmi ses amis, ses copains, ses relations… Je me demande encore pourquoi, puisque a priori, nous n'avions pas grand chose en commun, et nos brèves relations n'avaient pas été mémorables. Pour ma part je me considère comme quelqu'un d'apparemment négligeable, et cela me convient très bien. Pour vivre heureux… Enfin, lorsque Tania m'a proposé de l'accompagner à cette soirée, j'y suis allée un peu par curiosité, un peu par désœuvrement ; à vrai dire Boris manquait de dynamisme en cette période, il pantouflait un peu trop, et moi j'avais envie de m'amuser, de me distraire tout bonnement. Je n'y allais notamment pas pour revoir L., dont je n'avais qu'un souvenir imprécis. Tania avait insisté : " Mais si, tu verras, elle est sympa ! ". Et en réalité, elle l'était. Mais surtout Tania, je l'ai compris bien plus tard, avait besoin que je lui serve de caution, pour une obscure histoire de coucheries. Peu importe, vu le résultat ! Le résultat fut que je trouvais, autour de L., un cercle de jeunesse festive, et que c'était exactement ce qu'il me fallait à l'époque. Les amis de mon âge, que j'ai toujours et que je ne renie pas, commençaient à vieillir, à devenir casaniers, ou parents. En bref, ils n'étaient plus disposés à passer des nuits blanches autour d'un verre de bière en écoutant de la musique un peu trop fort. Et moi, ça me manquait terriblement. Alors avec L. et ses amis, j'ai été servie.

Je me suis sentie un peu décalée, les premiers temps. J'ai perçu des enjeux que je ne comprenais pas, des conversations dont je me sentais exclue, des enthousiasmes que je trouvais exagérés, ou artificiels. Je ne me sentais, au fond, pas tout à fait à ma place, et plusieurs fois j'ai pensé ne pas approfondir la relation. Durant une assez longue période, je me suis cherchée parmi eux, je me suis demandé même ce que je faisais là ; certaines habitudes me lassaient, comme d'aller toujours dans les mêmes restaurants, sans charme ni intérêt particulier. Mais c'était ça ou rien, et je n'allais pas dicter ma loi ! Au contraire, j'ai fait le gros dos ; et j'étais ravie de voir qu'on m'associait spontanément à différents projets, ou qu'on me contactait, plus ou moins à l'improviste, pour une soirée. Les choses se sont faites petit à petit ; les premiers temps, j'avais plutôt l'impression qu'on me tolérait seulement… Mais il faut croire que j'ai su me faire apprécier, sans que ce soit, le moins du monde, un calcul de ma part. Pendant une année environ, j'ai mis un mouchoir sur ma vie passée, pourtant riche, simplement parce que je devinais que le sujet ne les intéressait pas ; JE ne les intéressais pas. Ils avaient beaucoup plus passionnant avec eux-mêmes, leurs relations internes, leurs intrigues, et j'étais là comme un cheveu sur la soupe. Cela ne me vexait pas du tout, au contraire ; cela m'arrangeait plutôt. Je considérais que mon âge et ma situation maritale me mettaient en quelque sorte hors-jeu, et cela m'évitait toutes les complications liées au jeu de la séduction, entre autres. Je voulais juste être une bonne copine, quelqu'un d'agréable à fréquenter, amusante si possible, mais pas désirable, pas attirante, ni physiquement ni intellectuellement -car on forme tout de même un joli petit groupe d'intellos… Je voulais être quelqu'un dont ni les hommes ni les femmes n'aient quoi que ce soit à craindre -ni rivalité, ni désir. C'est sans doute un peu dans cet esprit que j'ai introduit Boris dans le cercle : bien sûr, pour donner une existence réelle à ce fantôme que j'évoquais parfois. Aussi, pour prouver que je ne venais pas avec eux m' " encanailler " à son insu, ni chercher à l'oublier. Mais surtout, inconsciemment peut-être, pour me donner une respectabilité, un statut d'intouchable. Et ça a bien marché d'ailleurs : nous étions un brave " petit couple " stable, sage, posé, dans lequel il ne venait à l'esprit de personne de s'immiscer -et qui ne dérangeait personne. Ainsi j'avais cette paix à laquelle j'aspire toujours : je faisais partie d'un groupe, sans avoir à m'y impliquer en tant qu'être sexué et à en subir les troubles conséquents.

A 40 ans passés, j'aime une certaine routine ; les grandes envolées et les tourments amoureux ne sont pas pour moi ; pas plus que les ambiguïtés, les situations troubles. Et ce n'est pas une question d'âge en réalité; plutôt de tempérament. Je n'ai jamais été portée à m'emballer, ce qui m'évite de tomber de trop haut. Affectivement, j'ai toujours eu très peu d'ambition ; à la différence de L., qui a besoin d'une cour, j'aime les amitiés rares, mais durables. A une époque L. au contraire avait tendance à se noyer dans une vie sociale effrénée mais frivole, superficielle. Elle s'est un peu modérée depuis, et je m'en sens en partie responsable. Mais il était nécessaire aussi qu'elle apprenne à se contenir, à se limiter, pour ne pas s'épuiser. J'ai vu le moment où elle allait se perdre à trop vouloir se disperser. C'est le mot juste : elle se dispersait, alors qu'elle a plutôt besoin de repères. D'une certaine façon, compte tenu de son célibat, cela lui était nécessaire ; la motivation première et officielle à ses sorties et à ses fêtes était de " rencontrer quelqu'un ". Elle et les copines de son âge partaient " en chasse " ; je les accompagnais pour boire un verre, dire des conneries, jouir de la jeunesse d'autrui, prendre du bon temps sans arrière-pensée. J'aime m'étourdir, boire un peu trop, chanter à tue-tête, danser ; elles en faisaient autant, seulement il y avait toujours pour finir quelques types de leur âge pour les aborder, leur payer un verre et essayer de pousser leur avantage. C'était dans l'ordre des choses et ça me convenait plutôt. Parfois le type était assez généreux -ou assez saoul !- pour m'offrir à boire par la même occasion, et je profitais de l'aubaine sans remords…

Seulement, à terme, je me suis bien rendue compte que cette démarche superficielle ne " collait " pas à L. Elle avait besoin de ses copines, ou de Stef, pour aller draguer. Mais, comme disait Mélanie, " jamais elle ne ramenait rien ". En fait, L. a fini par reconnaître que ce type de rencontre ne lui convenait pas, ou plutôt qu'elle n'en retirerait jamais rien de durable, de fiable. Que ce n'était pas sa façon de fonctionner -pas son genre, tout simplement. Que dans le fond, elle était de nature réservée, et pudique, et qu'elle n'allait pas se jeter dans les bras du premier animal venu, même si elle avait beaucoup fanfaronné sur la question. Qu'elle préférait encore " pas de mec ", même si c'était douloureux, à " n'importe quel mec ". En somme, la lucidité lui est venue, même si ça n'a pas forcément été facile à vivre pour elle ; pas facile à reconnaître, à accepter. Elle avait le choix entre attirer, sans trop de peine, des inconnus qui ne l'intéressaient pas, ou choisir son nouvel amour parmi ses proches, ses vieux copains. Certains parmi eux d'ailleurs, et des garçons intéressants, étaient tout disposés à lui rendre le service. Mais L. était réticente ; Mélanie, et quelques autres qui s'irritaient du manège, l'accusaient d'être trop difficile, trop exigeante. Je crois simplement qu'elle est un peu idéaliste peut-être, voire romantique, qu'elle n'était pas amoureuse, et qu'on ne se force pas à le devenir -ou à " se taper le premier venu "- pour faire plaisir aux " bonnes copines " qui s'inquiètent de nos hormones ; en ce sens je reconnais à L. une vraie force de caractère. Avec la pression du groupe, et les charmes de certains prétendants, elle a du mérite à ne pas s'être laissée déborder. Certaines semaines la conversation tournait presque exclusivement autour de sa vie sexuelle -ou, plus cruellement, de sa vie non-sexuelle. Ce devait être assez pesant, pour elle, il devenait sans aucun doute nécessaire d'y mettre un terme ; et L. a su le faire. J'y ai aidé un peu, je crois, le jour où j'ai suggéré à Mélanie -que j'aime beaucoup, mais qui est vraiment un peu brute parfois- que ce qui empêchait L. de construire une nouvelle relation amoureuse, c'était peut-être l'idée de devoir dans la seconde l'assumer devant tout un groupe qui, aussi bien disposé et amical qu'il fût, lui poserait cent questions cocasses, mais indécentes, mais intimes. J'exagère à peine : le cercle de L., c'était aussi un peu le loft, et je pensais qu'il ne devait pas être évident d'y accepter, ou même tout simplement d'y entendre ses sentiments réels. Mélanie l'a fait, mais elle est d'une autre trempe ; je le dis sans comparaison. J'admire Mélanie pour sa force de caractère, et L. pour son courage à travers ses doutes. On dit qu'il faut se méfier des colères des timides…on peut tout aussi bien admirer leurs élans !

Je pense aussi avoir joué un rôle, mais je n'en suis pas forcément fière, lorsque j'ai fait remarquer -j'avais commencé à asseoir ma position dans le groupe et je me permettais un peu plus de donner mon avis- que ça devenait un peu répétitif, toujours ces mêmes sorties, ces mêmes boîtes, ces virées en grandes bandes où on passe son temps à s'attendre les uns les autres… J'ai sans doute eu une certaine influence à ce moment-là ; je m'en veux un peu, car Mélanie, par exemple, a ensuite accusé L. de " vieillir ", de ne plus " rigoler comme avant ". Mais en même temps, il me semble que c'était une évolution nécessaire et naturelle, et que ce serait arrivé de toutes façons, même si je n'avais pas été là. J'avais envie d'une relation plus sereine, plus tranquille, et aussi moins superficielle. Je n'étais sans doute pas la seule, mais j'étais celle qui pouvait l'analyser d'abord, le dire ensuite, avec ma naïveté coutumière. Et c'est ainsi que, peu à peu, le groupe s'est réduit et a diversifié ses pratiques. Nous n'étions plus que 5-6, une sorte de noyau dur dont le copinage tournait à l'amitié. Il y a eu des balades, des partages différents, des activités nouvelles et autres -même si la fête restait centrale. Comme je le disais déjà à trente ans, la fête tous les samedis, c'est plus la fête, qu'est-ce qu'on peut bien trouver de nouveau à fêter chaque semaine ? Il faut savoir garder la fête pour des occasions ; et le reste du temps, savoir apprécier le simple plaisir de se retrouver, sans excès…

Oui, je sais, c'est un raisonnement de vieille et je les ai peut-être fait vieillir précocement ? Mais c'est bon aussi, de mûrir !
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MessageSujet: Re: Franchir le pas - Alea   Franchir le pas - Alea Icon_minitimeMer 30 Juil 2014 - 20:40


Chapitre 3

Bon, et pis il fallait bien y venir, les choses ont évolué et j'ai commencé à patauger. Sentimentalement, je veux dire. C'est dur à tenir, le célibat, surtout avec Mélanie qui, au sens propre, vous pousse au cul… Oui mais moi, non, je suis pas comme ça. Enfin, c'est pas que…mais non, y en avait pas un qui, comment on dit ? Qui m'agréait.

" Vaut mieux être seule que mal accompagnée ", je me défendais comme ça, c'est la devise de la solitaire qui décroche rien. Mais à vrai dire le problème n'est pas là. Il y a toujours quelques mecs qui me tournent autour, et ça me plaît bien. Mélanie me reproche même de jouer un peu trop, de les faire durer, et de ne pas vouloir en choisir un pour pas perdre les autres. Pour être tout à fait franche, c'est sûrement pas faux. Mais c'est sûrement pas plus facile à vivre que la vie de couple. Y a pas que les hormones ; y a la relation, et c'est ça qui me manque le plus. Quand je vois Chantal et Boris, par exemple. J'ai envie d'une relation comme ça où j'aurais l'impression d'être comprise, aimée pour ce que je suis, acceptée avec mes défauts. Et les blancs-becs qui nagent dans mes eaux sont loin d'être capables d'autant de compréhension, de disponibilité, d'ouverture. Bref, je n'aurais pas avec eux la relation dont j'aurais besoin, et que je recherche.

En fait cette relation j'ai commencé à avoir une petite idée de là où je pourrais la trouver, mais c'est une idée qui m'a effleurée, chiffonnée, et que j'ai d'abord rangé dans un coin de mon esprit débile pour mieux l'ignorer. J'ai pensé que c'était un effet pervers de mes hormones frustrées ; que c'était parce que je fréquentais trop Stef et ses penchants douteux; j'ai même pensé que je finissais mon Œdipe, je me suis cherché des justifications de psychologie de bazar, bref, j'ai pas voulu en entendre parler. Mais elle s'est imposée à moi de plus en plus, comme une évidence. Je voyais parfaitement quand et avec qui j'étais bien, tranquille, dans une bonne chaleur humaine et une jovialité enveloppante. Je voyais bien de qui je cherchais la compagnie, et qui me manquait les soirs de cafard, quand Stef ne répondait pas à l'appel… Je me rappelais un bon rire et rien que ça, ça me ramenait le sourire…

Mais je ne le formulais pas, je ne voulais pas le reconnaître, mettre un nom dessus ; le problème principal, c'est que c'était une femme ; et ça je ne pouvais m'y faire. Ça ne rentrait pas dans mes critères, dans ma vision de moi. Alors j'ai essayé de me convaincre qu'il n'était question que d'amitié, et c'était d'autant plus facile que je connais ma tendance aux amitiés possessives. Donc ce n'était, ce ne pouvait être qu'une amitié, ou plutôt une envie d'amitié un peu trop forte, un peu maladroite ou décalée, mais une amitié, et rien de plus ! Et je me serais volontiers enferrée là-dedans si Stef ne m'avait pas ouvert les yeux. Un jour comme ça, de but en blanc, je sais plus de quoi on parlait et il m'a dit, en rigolant : " Et dis-moi, Chantal, tu la cherches pas un peu ? " Je pense qu'il s'attendait à ce que je nie -puisque, à vrai dire, j'étais dans le pire déni. Mais j'ai eu comme un déclic ; le blindage s'est évaporé d'un coup, et je lui ai seulement dit " Tu crois ? " avec un air un peu surpris ; "Bin ouais hein ", qu'il m'a fait avec son assurance souriante. Et puis il m'a dit à quoi il voyait ça : une façon de la regarder, de lui parler, et de parler d'elle, et d'avoir envie qu'elle soit là un peu tout le temps. Et même une pointe de tristesse quand elle y était pas. J'ai pas dit non. Et puis d'un coup j'ai eu peur et j'ai dit : " Et les autres, tu crois qu'ils s'en sont rendus compte ? " " Et elle, tu crois qu'elle s'en est rendue compte ? " J'étais terrifiée, accablée ; Stef s'est marré. Ce qui est bien avec Stef, c'est qu'il est passé par là ; alors il dédramatise. Et puis il a du nez, et pour ce qui est relationnel, je lui fais une entière confiance, même quand il est bourré à se vautrer dans les cabines téléphoniques. Il assume, lui ; c'est un costaud. Mais il est heureusement plus délicat que Mélanie. Enfin bref : pour les autres, il m'a rassurée ; il m'a dit avec raison qu'on avait tellement déconnés sur la question qu'il n'y avait pas de souci à avoir, que depuis que j'avais pris de la distance et demandé qu'on me foute la paix, on désespérait de mon cas et que ma vie intime avait fini par tellement décourager tout le monde que personne ne se rendait plus compte de rien. Ce qui est assez vrai, et qui convient mieux à ma pudeur. Quant à Chantal, il a été plus nuancé. " En ce qui la concerne, je sais pas du tout ; elle est pas née de la dernière pluie et elle en a vu bien plus qu'elle ne nous le dit ; en même temps sur certains points elle a l'air super naïve, et elle l'est peut-être. Je n'ai aucune idée de ce qu'elle a pu remarquer, ou pas. Je suis juste sûr qu'elle ne joue pas avec toi : c'est pas son genre. Peut-être qu'elle a rien senti, peut-être qu'elle a senti quelque chose, c'est dur à dire. Elle est fine, mais en même temps peut-être aussi qu'elle ne veut rien savoir…

-Mais moi non plus, j'ai bondi, je veux pas qu'elle sache ! "

Alors Stef m'a regardée avec un petit air penché, un peu peiné, et très moqueur ; mais trop complice. Presque il m'aurait fait rougir. Je lui ai balancé mon coussin à travers la gueule, par amitié, et la conversation a tourné au chahut.

N'empêche qu'à partir de ce moment, où les choses ont été dites, où j'ai mis un nom sur ce que j'éprouvais, ça a été plus fort que moi : j'y ai pensé de plus en plus, et j'ai commencé à faire des approches. J'ai testé. Je voulais pas qu'elle sache, mais j'en avais une furieuse envie…

J'ai essayé un peu tout ; surtout dans le registre de l'amitié, des intérêts communs -hormis le boulot, je ne sais pas pourquoi. Sans doute parce qu'on était les seules à le partager, que nos conversations étaient toujours publiques et que je ne voulais pas gaver les autres. D'ailleurs elle me le reprochait, si on parlait boulot, elle détournait vite la conversation, aussi parce qu'elle ne nous sentait pas dans les conditions permettant de discuter sérieusement ; et ce n'était pas le moment de discuter sérieusement. Non, je lui demandais des tuyaux sur des choses qu'elle connaissait notoirement mieux que moi ; genre m'apprendre à faire un truc de cuisine qu'elle réussit bien, ce qui nous a donné l'occasion de notre premier tête à tête, chez moi. J'ai constaté à ce moment-là qu'elle était super pédagogue, c'est à dire qu'elle savait tout expliquer : pourquoi on fait les choses comme ci, pas comme ça ; quelle est la démarche à suivre, et pourquoi c'est celle-là, pas une autre ; quelles sont les options possibles, quel est l'éventail des choix, et pourquoi elle avait fait tel ou tel choix, justement. Bref elle maîtrise son sujet. Mais elle est honnête aussi : quand elle ne sait pas, elle le dit ; il n'y a pas de façade, avec elle. Dans une occasion comme celle-là, je lui ai fait un de mes premiers compliments ; elle y a répondu par une pirouette, une moquerie, comme d'habitude. Mais je sais que ça l'a touchée. Je sais aussi que je n'ai pas le compliment facile. Elle non plus, du reste ! Elle passe son temps à se foutre de moi… Avec esprit, avec une répartie qui m'aplatit presque à tous les coups. Mais ça me fait marrer, et tout le monde avec. Ça passe bien, ce sont des jeux d'esprit, sans qu'il y ait la moindre méchanceté, la moindre rivalité, même intellectuelle ; c'est du jeu, tout court ; Chantal est dans le jeu ; avec le recul, je pense que c'est aussi sa manière de se protéger, de ne pas prendre les choses au sérieux. Elle m'a dit un jour une phrase de je ne sais qui : " Ne prends pas les choses au tragique, si tu veux qu'on les prenne au sérieux ". J'ai bien aimé. Et du coup, elle prend tout à la rigolade, et j'essaie d'en faire autant. Mais je n'ai pas le même caractère, pas la même force…

En tout cas, elle adore vanner, je crois -et ça me fait plaisir- que c'est pour elle une forme de tendresse. Elle est un peu comme ça avec tout le monde, du moins tous les gens assez proches avec qui elle peut se le permettre. Mais moi je suis vraiment une cible privilégiée ; ça me plaît, en plus ! Au moins je sais que j'existe pour elle. De temps en temps j'arrive à lui en renvoyer une, et si elle reste court, ce qui lui arrive aussi, heureusement, là elle a les yeux qui brillent et elle fait semblant d'être fâchée, mais j'ai plutôt l'impression qu'elle est fière de moi. C'est con, j'ai eu un moment l'impression d'être son élève.

J'ai eu aussi l'impression d'être sa fille, ou plutôt, que Boris et elle jouaient les parents avec nous, surtout Stef et moi, à une période où on n'avait pas trop de fric et où on ne s'en cachait pas. Eux, ils ont une certaine solidité matérielle, et quand on a été dans la mouise -j'ai eu des frais de voiture, des trucs comme ça- il leur est arrivé de nous offrir à boire et même de proposer de payer le resto. Ça m'a gênée, j'ai protesté : " Vous êtes pas nos parents ". Là, ça l'a un peu bloquée : je crois qu'elle n'y avait même pas pensé. C'est drôle, mais c'est une des rares femmes que je connaisse qui n'a pas l'instinct maternel, et qui ne s'en cache pas. D'après les discussions qu'on a eues, Boris et elle n'ont jamais voulu avoir de gosse. Maintenant elle considère qu'elle a passé l'âge de se poser la question, mais il n'y a aucune amertume dans ses réactions. Elle est rationnelle, en somme : elle aime bien les gamins sympas, elle n'aime pas les gosses chiants. Elle dit qu'elle n'a jamais eu envie, ni de pouponner, ni de materner ; par contre, éduquer oui : elle a entre autres de très bonnes relations avec les ados ; peut-être qu'ils lui font confiance justement parce qu'ils sentent qu'elle ne va pas poser sur eux le regard angoissé de la mère, ni celui, moralisateur, de " celle-qui-n'a-pas-de-gosse-mais-que-si-elle-en-avait-ils-seraient-mieux-éduqués ".

Bref, surtout avant la remarque de Stef, je suis passée par tous les modes de relations possibles avec elle ; dans ma tête, je veux dire ; il y avait l'amie, le modèle, la mère, la prof, la grande sœur… Pas la psy, quand même ; je n'ai jamais voulu lui confier mes soucis. Vu qu'elle avait l'air de n'en avoir aucun, je ne voulais pas paraître rabat-joie… On dirait toujours que pour elle tout est simple : il n'y a ni bien ni mal, il y a ce qui est et qu'il faut accepter ou combattre. Ou faire avec. J'enviais sa sérénité. Maintenant que je la connais mieux, j'envie cette force qui la fait paraître sereine alors qu'il se pourrait bien qu'il y ait un gouffre juste à côté.

Donc, je disais, j'ai envisagé dans ma petite tête tous les modes de relations avec elle, sauf le bon, qui me perturbait. Elle est entrée facilement dans tous les rapprochements que je cherchais, mais ils n'incluaient pas le physique. C'était de l'intérêt, des points communs, des goûts partagés, des envies simultanées, des fonctionnements qu'on découvrait identiques, une certaine affection même, qu'on ne pouvait plus vraiment nier, mais il manquait toujours quelque chose : le corps, le désir, une dimension que je ne pouvais pas accepter et qu'elle rejetait toujours, avec sa manière de se fringuer, de se comporter, qui niait son existence charnelle.

A posteriori, je sais quand j'ai commencé à y être sensible, sans me l'avouer ; ça a coïncidé avec le début de l'été, les randos et les déménagements. Chantal est serviable et musclée, et Boris a une camionnette. Du coup elle a donné des coups de mains aux copains et ça m'a donné l'occasion d'apprécier sa force ; je sais que ce n'est pas flatteur, pour une femme ; on l'imagine tout de suite hommasse, trapue et moche. Mais pour Chantal, c'est pas ça ; c'est un pur esprit qui a bien les pieds sur terre. C'est une vraie femme, avec des rondeurs partout. Mais elle sait prendre ses appuis, elle connaît son corps, ses muscles, et elle n'a pas peur de se faire suer ; du coup, aux déménagements c'était l'acolyte de Stef : à deux ils ont géré les trucs les plus lourds, les plus encombrants, et sans se blesser. Chantal avait prévu l'équipement pour : les gants, la tenue adaptée, le bob pour tenir les cheveux sans la casquette dont la visière gêne, bref, comme pour la cuisine, tout avait une raison, une explication, et je souhaite à tout le monde d'avoir une amie déménageuse comme elle… Et pourtant, j'insiste, elle n'a rien de masculin ; sauf l'assurance peut-être, dans les mouvements. Quoique, forcer sans se blesser, sans en avoir l'air, c'est aussi un travail de danseuse… J'ai pris conscience qu'elle se donnait du mal quand elle m'a transpirée dessus -involontairement bien sûr. J'en ai rigolée, elle s'est presque excusée -et je me suis sentie conne. C'est peut-être à ce moment-là que j'ai pris conscience de la réalité de son corps : par cette sueur d'amitié.

La deuxième fois, c'est quand on a fait une rando. J'ai passé le trajet à me demander comment elle se serait fringuée pour marcher, et je l'ai trouvée dans un bermuda informe -informe, comme quasiment tout ce qu'elle porte. Je m'y attendais, en fait. Ce qui m'a surprise, c'est les jambes qu'il y avait dedans : rondes, musclées, et bronzées. Des jambes que j'envie. Moi j'avais mon pantacourt et deux bouts de mollets blancs et mal épilés. Chantal, je l'ai vu ce jour-là mais je m'en doutais, ne s'épile pas. Et pourtant ça n'a rien de choquant ; au contraire même. Heureusement, quand même, elle n'est pas vraiment poilue ; en fait ses poils se voient à peine, ils sont rares et clairs, et sur la peau mate, ça n'a rien de laid. Enfin voilà : elle est nature, mais ça lui va bien. Elle ne rentre pas dans les critères de la beauté télévisuelle, mais elle est belle.

Même je suis sûre que si elle se donnait du mal elle rentrerait dans certains canons ; genre beauté grecque. Pas les femmes filiformes de maintenant, pas mannequin anorexique évidemment, mais pas les grosses non plus, ça m'énerve parce que j'ai peur d'en donner une image de déménageuse. C'est l'image que j'ai d'Hélène dans " la guerre de Troie n'aura pas lieu " ; une femme avec des formes, mais pas trop. J'envie sa poitrine aussi. Elle est juste dans les bonnes dimensions. La mienne est trop grosse à mon goût et j'en ai longtemps souffert. Je sais que ça plaît aux mecs mais moi ça me pèse, au sens propre aussi… Longtemps j'ai essayé de la gommer sous des fringues un peu larges et lourdes ; et puis je l'ai assumée, puisqu'il n'y avait rien d'autre à faire, mais je souffre de l'impression qu'on ne voit que ça, chez moi. Celle de Chantal est normale ; je dirais, 85-90 C. Ni plate, ni à crever les pulls. Quel bol !

Et puis il y a le visage ; je ne m'y attarderai pas, c'est trop subjectif, mais quand même. Chantal a ce qu'on appelle littérairement -et la littérature est un de nos points communs- une physionomie mobile ; elle a un visage très expressif, qui change du tout au tout sous l'émotion ; sans doute ce qui m'a donné l'impression qu'elle ne pouvait mentir, car on lit sur son visage comme à livre ouvert. Mais dans certains moments, rares, quand elle est sereine, quand elle croit que personne ne la regarde, quand elle n'est pas en train de parler et de faire sa rigolote -je ne dis pas " son numéro ", parce qu'elle n'est pas cabotine ; simplement elle s'anime quand elle parle- donc dans de rares moments, au repos, elle a un ovale angélique -et elle fait vingt, au lieu de dix ans de moins. Son visage devient très doux, ses rides de rire s'effacent, et d'un coup on dirait une de des femmes des tableaux du 18ème , paisible, dans sa plénitude. Je l'ai rarement vue comme ça ; je l'ai surprise, en fait. Un moment où la conversation était animée, ou personne ne faisait attention à elle, où elle avait l'esprit ailleurs. Je l'ai trouvée très belle ; puis elle a vu que je la regardais et elle m'a souri en me disant une connerie. Elle était revenue sur terre.

J'ai donc pris conscience, petit à petit, et malgré tous ses efforts pour le faire disparaître, que Chantal avait un corps. Je ne dirais pas que ce corps m'a attirée -encore une fois ça ne rentrait pas dans mes conceptions- mais ça lui a donné une existence nouvelle, réelle. En fait, Chantal limite au maximum les contacts physiques. Il y a des gens qui tapent facilement sur l'épaule, qui vous tripotent, vous embrassent à la moindre occasion, vous prennent dans les bras, vous effleurent ou même vous collent. Chantal, c'est tout l'inverse ; elle a une présence réelle par sa voix, son rire, sa bonne humeur, ses réparties ; mais à part la bise du départ ou de l'arrivée, à laquelle elle échappe au maximum d'ailleurs, personne -hormis Boris- n'a de contact physique avec elle. En voiture ou au resto, quand la place est limitée, elle se " serre loin " ; elle coupe sa viande les coudes au corps, elle s'arrange toujours pour éviter le contact, même dans les virages. C'est drôle, mais je ne l'avais jamais trop remarqué ; même si on savait qu'elle n'aimait pas les bises, et que c'était devenu une blague entre nous. Pour le reste, ça ne m'avait pas marquée, jusqu'au moment où justement, elle est devenue tellement proche sur tous les autres plans que sur celui du physique j'ai ressenti comme un manque.

C'est à ce moment-là, en fait, que Stef m'a fait remarquer mes approches ; jusque là il y en avait peut-être eu d'autres, mais c'était complètement inconscient, innocent même. Du jour où Stef a parlé, j'ai perdu cette innocence et j'ai dû accepter -dans mon for intérieur uniquement !- que l'existence physique de Chantal m'intéressait aussi. Et pour me rassurer je me disais que c'était comme une énigme à résoudre.

Stef ne m'a jamais donné de conseils ; il s'est toujours placé en simple observateur, mais d'une lucidité redoutable. Sa première remarque a été la porte ouverte à toutes ces observations que j'avais faites sans m'en rendre compte : les jambes de Chantal, le visage de Chantal, la sueur de Chantal…le corps de Chantal, qui existait bel et bien, et qui pour tant de gens est tellement plus abordable que le reste. Pour moi non ; c'était un mystère, un corps absent, et une absence qui me faisait souffrir. Enfin à l'époque je me disais en plaisantant que, plus légèrement, "ça me titillait "…

J'ai donc fait quelques manœuvres d'approche, mais détournées, aussi bien par peur de moi-même que de ses réactions à elle. De fait, j'ai essuyé des rebuffades moqueuses -mais jamais ambiguës. Et c'était ce manque d'ambiguïté même qui me mettait au supplice. Par exemple Chantal réclamait " son espace vital " ; elle ne disait pas " Tu me dragues, là, ou quoi ? ", ce qui aurait au moins mis la question sur le tapis. Non, c'était, avec humour " Pousse-toi, tu m'envahis " ou " T'as froid ou bien ? " ; on aurait dit qu'elle ne voyait rien, et même Stef avec qui on en parlait quelquefois -qu'est-ce que j'ai dû le gaver, le pauvre, avec mes histoires de gonzesses-, ne savait pas à quoi s'en tenir. Un soir, un peu ivre, j'ai été plus entreprenante ; j'ai voulu danser avec elle -qui était bien bourrée et qui s'éclatait. Elle m'a dit qu'elle ne savait pas danser à deux. Et c'est tout. J'ai reposé mon cul, désespérée. Je n'arrivais pas à savoir si elle ne voyait rien, ne voulait pas voir, ou ne voulait pas de mes approches et faisait juste semblant de ne pas les comprendre pour ne pas me blesser. Mais tant que je ne savais pas, je ne me laissais pas refroidir. Je suis têtue !
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Franchir le pas - Alea Empty
MessageSujet: Re: Franchir le pas - Alea   Franchir le pas - Alea Icon_minitimeMer 30 Juil 2014 - 20:41


Chapitre 4


Je ne suis pas quelqu’un de très courageux. Je peux même être franchement lâche, et ce que j’ai à raconter de la suite des événements n’est pas très reluisant. Mais il m’a fallu batailler si longtemps pour arriver à ma solidité, mon assurance, mon apparente sérénité, que je ne suis pas prête à lâcher comme ça. Donc, j’ai fait traîner.

Je ne dirais pas non plus que j’ai laissé pourrir… Mais j’ai dû la faire souffrir un peu –et pour ça, je m’en veux. Jusqu’au bout et sans bouger –une vraie murène-, j’ai attendu qu’elle se déclare sans ambiguïté, qu’elle se lance sans filet. J’étais morte de trouille dans ma petite vie tranquille. Je ne voulais rien lâcher… Enfin, je crois plutôt que je ne voulais pas me lâcher. Et donc je l’ai poussée à bout.

Pour ma décharge, il n’entrait aucune manipulation dans mon attitude ; d’une part je ne voulais pas avoir l’impression de jouer de mon influence, que je sentais croissante –d’autres diraient que je ne voulais pas assumer ; mais surtout, je n’étais pas sûre, et tant que je n’étais pas sûre, j’avais peur : peur d’être rejetée, peur de la perdre, peur de casser notre amitié, de tout gâcher, de la choquer. Une fois assurée et rassurée, ne pouvant plus douter de ses désirs, je n’avais plus à cacher les miens et je n’ai plus fait de manières. Mais tant qu’il restait l’ombre d’un doute, je n’ai pas bougé une oreille. J’ai fait la sourde, plutôt ! Je pensais que je ne pouvais pas me permettre de prendre le risque ; mais qui peut se le permettre ? Heureusement qu’elle l’a fait, elle. L. Heureusement qu’il y en a qui se jettent à l’eau. Heureusement pour l’eau…

Enfin, je ne sais pas si c’est si « heureusement » que ça. Pour elle, surtout. Je ne voudrais pas qu’elle en souffre. Pour moi, je prends ce qu’il y a de bon à prendre avec philosophie, avec gourmandise, avec jouissance, et ça s’arrête là.

Non, là je suis très loin de mes sentiments sincères. C’est du faux cynisme. Je parle comme l’autre connard, JP, que je me suis tapée quand j’avais…quelque chose comme 25 ans, et qu’il en avait le double. C’est la seule vraie liaison que j’aie eue depuis que je suis avec Boris. JP a attendu que je me jette à l’eau, puis il en a profité, en se disant –et en ME disant surtout !- qu’il s’en remettrait toujours, ou je ne sais quoi, bref, qu’il craignait surtout, ou seulement, que je ne souffre plus que lui ; ça se voulait gentil, mais dans le fond c’était plutôt indélicat. Je m’en suis remise en me disant qu’il cherchait en réalité plutôt à se rassurer lui-même qu’à s’inquiéter de ma sensibilité. Mais pour L., je suis vraiment inquiète : je crois que dès le début j’ai été sensible à sa fragilité, à sa constante demande d’affection cachée derrière des dehors un peu rugueux ; c’est certainement ce qui m’a touchée en elle. Maintenant je connais encore mieux ses doutes, ses interrogations, et je ne voudrais pas que notre histoire en rajoute, je ne veux pas la déstabiliser, lui faire du mal. J’aimerais au contraire lui apporter la sérénité, la confiance qui lui manquent, en lui prouvant qu’elle est tout à fait digne d’être aimée entièrement et pour elle-même. Et si je m’inquiète de sa souffrance plus que de la mienne, c’est parce que je sais que moi j’ai plus de défenses.

Je me défends tant et si bien d’ailleurs que je suis passée à côté d’au moins une vraie histoire. J’ai de l’intuition quand même ! Je sens quand quelque chose est possible, et là on est passés pas loin de… pas loin de quoi en fait? J’étais amoureuse, il l’était aussi. Il m’a fait des appels du pied, je n’ai rien voulu voir. Il avait 10 ans de moins et je ne voulais pas gâcher sa vie. Je suis restée raisonnable. J’ai aussi sauvegardé ma sérénité… Si j’avais voulu entendre, sans doute que tout aurait changé ; nos deux vies, et tout ce qui s’ensuit. Parfois j’aimerais pouvoir revenir aux bifurcations de l’existence et prendre l’autre branche, juste pour voir. Comme dans « les livres dont vous êtes le héros ». Peut-être qu’on en parlera ensemble quand j’aurai 80 ans, lui 70, comme chez Maupassant.

Je n’ai pas de regrets ; ce n’est pas parce que j’aimerais revenir à la bifurcation que ça veut dire que j’ai des regrets. Je suis curieuse, c’est tout. J’aime approcher l’éventail des possibles.

Et donc, cette fois encore avec L. j’ai cru que je pourrais jouer ; d’ailleurs je pourrais encore être en train de jouer ; de faire celle qui ne voit pas, qui ne comprend pas. Mais je suis assez grande aujourd’hui pour assumer, ne serait-ce que pas respect pour autrui. Pour L.

Mon attitude pouvait mettre L. à la torture ; je le savais. Si je l’avais ignorée j’étais encore défendable ; mais je ne pouvais pas l’ignorer. Alors il fallait soit que j’y mette un terme, que je disparaisse, qu’on arrête de se fréquenter le temps que ça se calme –ce que j’ai fait l’autre fois avec mon « petit jeune »- soit que j’assume. Je n’ai pas tendance à assumer ce qui me dérange dans mon petit confort affectif –voire dans mon équilibre psychologique. Je sais très bien fuir, éviter. Mais cette fois, j’ai assumé. Je pense que ça tient à L., à sa ténacité. Mais encore une fois, je ne suis pas sûre, et sûrement pas fière, d’avoir bien fait. Moi je tiendrais le choc –j’en ai vu d’autres. Mais elle ?

J’ai commencé à pressentir quelque chose quand je l’ai eue au téléphone ; ou plus exactement, quand elle m’a appelée. Pour des détails, des rendez-vous, l’organisation de fêtes, des détails pratiques, rien de révélateur à l’époque. Pour elle c’était tout à fait innocent. Mais moi, je me suis sentie flattée. Flattée d’être dans le cercle, flattée de compter un peu –enfin ! Jamais, je ne l’aurais appelée. Je m’étais arrangée pour avoir son fixe, mais je ne m’en servais pas : je le ressentais comme une intrusion dans sa vie. Quant au portable, je ne m’en servais pas d’avantage, principalement pour de basses questions matérielles d’abonnement, mais aussi parce que je n’osais pas ; alors qu’elle s’en sert beaucoup. Et donc, elle m’a appelée. J’en ai éprouvé un vif plaisir, sans me poser de questions. J’ai d’abord pensé que c’était un simple plaisir d’orgueil –preuve que j’étais dans le groupe, dans ses numéros, et même dans ses appels illimités –bien que je sois en général plutôt expéditive au téléphone. J’étais ravie qu’elle m’appelle, mais j’écourtais les conversations. Jusqu’au jour où je me suis rendue compte que c’était aussi sa voix que j’aimais entendre. Une voix un peu grave, mesurée, contenue. Sa voix.

Je suis particulièrement sensible aux voix des gens, je peux les prendre en grippe rien que pour ça. Et L., justement, a une voix que j’aime et qui me fait du bien. Je n’en avais pas pris conscience avant qu’elle ne m’appelle au téléphone, peut-être parce que le constat était alors parasité par d’autres éléments –d’autres présences, des mouvements. Mais au téléphone j’étais concentrée sur cette voix, je pensais qu’elle m’était destinée, réservée, et c’était bon.

La deuxième prise de conscience a été si inattendue que j’en ai même parlé spontanément à Boris. Nous étions tous les deux, Boris et moi, je ne sais plus où, dans une ville lointaine, en vacances. Nous avons croisé quelqu’un, une fille ou un groupe de filles, et un parfum m’a sauté aux narines. Un monde d’images et de sensations, toutes agréables, heureuses, m’est au même instant venu à l’esprit, et j’ai reconnu un parfum que je n’avais jusqu’alors jamais identifié, auquel je croyais même n’avoir jamais prêté attention. J’ai dit à Boris : « Tiens, je viens de sentir le parfum de L. » Et j’ai ajouté « C’est bizarre, je n’y avais jamais fait attention ». Boris n’a pas spécialement réagi. Mais moi, d’un coup, je me suis interrogée ; ça m’avait été trop agréable pour être réellement neutre. Et d’ailleurs, j’ai passé ensuite plusieurs heures sous cette impression tendre, douce.

Je me suis dit alors que j’étais amoureuse. Ça ne m’inquiétait pas, je tombe amoureuse assez souvent et je trouve cet état de rêverie très agréable, alors je le cultive un peu, ce qui ne fait de mal à personne. Et puis j’ai oublié, et j’ai retrouvé L. sans même y penser.

Une autre fois aussi, avant de la retrouver –avec le groupe habituel, bien sûr !- j’ai eu brusquement envie d’être jolie, et j’ai ressorti un manteau que je ne mets jamais –je le trouve « trop classe ». Ce soir-là, j’ai osé, et j’en ai plaisanté bien sûr. Les autres ont participé à la plaisanterie, j’ai eu droit comme il se doit à des moqueries et à des compliments –j’ai gardé ce qui me convenait. Mais L. n’a rien dit. Elle est restée un peu en retrait, rêveuse, et pour une fois j’ai respecté sa distance.

C’est à la même période qu’elle a commencé à me chercher –ou à se chercher ? Elle a eu des attitudes, des phrases un peu équivoques. J’y ai été sensible, mais j’ai fait celle qui ne remarquait rien, je n’ai pas réagi : je marchais sur des œufs. Je me demandais ce qu’elle voulait, et je me disais qu’elle était surtout perdue, et qu’il ne fallait pas que je profite de la situation. J’étais un peu troublée, mais je ne voulais pas le savoir. Je ne me considérais pas le droit de jouer un rôle dans sa vie affective : elle se cherchait, et je ne devais pas perturber sa quête. C’était l’époque où j’avais compris à quel point elle souffrait de son célibat, et où, par respect, on n’abordait plus la question. De mon point de vue, c’était un grand progrès accompli par le groupe, et c’était vraiment pas le moment de venir brouiller les pistes.

Ça a été un peu délicat à gérer, pour moi ; je peux jouer à être amoureuse, si ça n’engage que moi ; mais là le jeu me dépassait, je ne le contrôlais plus, et ça m’inquiétait un peu. Mon attitude n’avait pas changé, mais je m’interrogeais. Qu’est-ce qu’elle veut ? Est-ce qu’elle sait seulement ce qu’elle veut ? Quel est mon rôle ? Qu’est-ce qu’elle attend de moi ? Est-ce qu’elle se rend seulement compte de son attitude avec moi ?

Raisonnablement, j’aurais dû la remballer vertement –avec humour bien sûr !… histoire de la refroidir une bonne fois. Je me suis quand même montrée assez distante, fuyante. Mais c’est un jeu ambigu : quelquefois la fuite, au lieu de décourager, accentue au contraire les ardeurs, et je crois que c’est ce qui s’est produit. Le pire, c’est que je me demande si je ne l’ai pas fait un peu exprès ; quand on veut vraiment mettre un terme à des approches, on ne s’y prend pas comme ça.

Je ne sais pas ce qui m’a prise. Je suis trop vieille pour croire encore que l’état amoureux nous échoit par surprise comme un état de grâce, qu’il suffit de rencontrer la bonne personne pour que tout soit dit. Il y a des prédispositions, il faut être disponible. L. je sais très bien pourquoi elle était disponible ; son échec sentimental, son célibat, et l’influence que je commençais à avoir sur elle, parce que j’avais fait preuve de maturité, de fiabilité, de psychologie… Mais moi, justement ? Pourquoi je ne me suis pas montrée raisonnable, comme les autres fois ? Pourquoi je suis entrée dans ce jeu dont elle-même n’avait pas forcément conscience au départ ?

Je suis un être sensible et solidaire : quand on a besoin de moi, je suis là. Mais j’ai du recul, aussi, et je sais mettre un terme aux relations qui risquent de devenir aliénantes, ou préoccupantes, car j’aime avoir l’esprit libre et les coudées franches. Et là, je ne sais pas pourquoi, je me suis laissée embarquer dans une relation compliquée et ingérable, et je me suis retrouvée aussi déstabilisée qu’à mon premier amour, à vingt ans.

La seule explication, mais je n’en suis pas fière, c’est que c’était extrêmement agréable. J’ai eu l’impression de rajeunir. J’ai eu des bouffées d’émotion, de chaleur ; des joies violentes pour des détails infimes. Une sérieuse montée d’hormones aussi. Et en même temps, pas de souffrances, pas d’inquiétudes –sauf celle de faire fausse route, mais cela ne me faisait pas vraiment peur, vu que je ne prenais aucun risque : j’attendais, j’appréciais, et je rêvais. J’éprouvais pour elle une tendresse infinie ; je l’éprouve encore d’ailleurs ; mais maintenant en plus j’ai l’occasion de la lui manifester.

Avec le recul, j’admire d’autant plus L. d’être allée jusqu’au bout. Vu nos situations respectives, c’était à moi de le faire : quand on désire une personne notoirement en couple, on est vulnérable et en attente : c’est à la personne en couple de prouver sa disponibilité, de manifester son accord, de faire le premier pas. L’autre est un tiers et a le mauvais rôle. L. ne pouvait pas savoir comment je réagirais ; ne lui ayant fait aucune ouverture explicite, je pouvais paraître choquée et m’abriter, sinon derrière mon devoir conjugal, au moins derrière ma relation avec Boris. Lui envoyer à travers la figure qu’elle s’était montée le chou, la prendre de haut, lui dire que j’aimais mon mari et qu’elle s’était imaginée des choses dégoûtantes, sans que rien dans mon attitude ne justifie ses illusions… J’aurais eu beau jeu, et c’était du reste la pure vérité : je n’ai rien fait pour l’encourager. Mais, là où ça n’aurait pas été franc de ma part, c’est que je n’ai rien fait non plus pour la décourager.

En réalité, comme je l’ai dit, j’étais attirée, mais j’avais peur. Je sais pourquoi j’avais peur, mais je ne m’explique pas pourquoi j’étais attirée, alors que jusque là j’avais très bien su résister à ce genre de complications.

Un après-midi, on s’est retrouvés chez Stef, avec une petite bande, plutôt des périphériques du groupe, des gens qui nous connaissaient peu, qui étaient venus avec nous au laser game, puis voir une vidéo sur la télé de Stef. Le seul intérêt de ce détail, c’est que vu le groupe, on manquait un peu de place devant la télé –l’appartement de Stef n’est pas très grand. Je m’étais installée tranquillement, allongée sur le côté, la tête sur une main, sur un matelas pas trop mal orienté ; depuis cinq minutes L. gigotait sur un pouf en mauvais état. Puis à un moment elle a eu l’air d’en avoir marre, elle s’est redressée, m’a dit « Tu me fais une petite place ? ça a l’air confortable, là.» Et elle est venue sur le matelas, en m’utilisant comme oreiller. Cela s’est passé très vite et elle l’a fait avec tant de naturel que personne, apparemment, n’a rien remarqué. Pour ma part j’ai quand même essayé de me défendre –de me protéger !-, comme le soir où elle avait voulu danser avec moi ; je lui ai dit en guise de plaisanterie « Méfie-toi, je peux avoir des réactions violentes à certains contacts physiques», mais elle était déjà installée là, la tête sur mon ventre ou à peu près, et elle n’a pas répondu.

J’étais allongée là, parfaitement calme en apparence, mais au bord de la panique totale. Et j’étais convaincue qu’elle s’en rendait parfaitement compte, aux battements de mon cœur.

A la fin de la vidéo les autres sont partis ; on s’est salués gentiment, en se relevant vaguement pour la bise ; mais L. a veillé à garder sa place tout contre moi. Puis Stef a mis sur la vidéo un truc qu’on devait voir depuis quelques mois; on a discuté gentiment, et au bout d’un moment il s’est relevé et il a dit : « Bougez pas, les filles, je vais chercher des clopes et des bières. » Et il est sorti en nous laissant là.

Pour moi qui connais les liens qui unissent ces deux-là, ça sentait le coup fourré à plein nez. Mais je n’ai rien dit ; L. non plus n’a pas bougé, je voyais son profil fixé sur la télé, vaguement absent. Je sentais sa chaleur qui rayonnait doucement dans mon ventre, sa tête à quelques centimètres, entre mes hanches et mes seins, et son parfum tout proche. J’ai failli fermer les yeux. Peut-être même que je les ai fermés. Je ne sais plus.

-« Et alors, ces réactions violentes, ça donne quoi ? qu’elle a fait, toujours sans me regarder.

J’ai poussé un gros soupir.

-Tu veux vraiment le savoir ?

-Bin oui, ça fait un moment que j’attends que ça, au cas où t’aurais pas compris.

A ce moment-là j’ai considéré que c’était assez clair pour que je puisse à peu près sans risque arrêter de me faire désirer.

-C’est pas forcément la violence qu’on imagine, j’ai répondu. Ça pourrait ressembler à ça.

Et j’ai glissé doucement sur le matelas, en accrochant mes pieds au bout, de sorte que je me trouvais allongée derrière elle, dans la position dite «de la petite cuillère », mes genoux dans les siens, ma poitrine contre son dos ; et j’ai posé un bras tout doux sur le sien. Je l’ai comme enveloppée.

Il y a eu un silence, tout doux lui aussi, puis elle a dit avec simplicité :

-C’est plutôt sympa comme violence. J’aime bien. »

Il y a eu un nouveau silence, puis on a parlé ; de n’importe quoi, je ne m’en souviens plus. Je me sentais profondément bien et apaisée. Je ne pensais plus à rien, j’avais les yeux fermés, la tête légèrement tournée vers le haut, pour ne pas manger ses cheveux. Ma main se promenait sur elle, légèrement, et je pensais qu’on ne s’était pas encore regardées.

Puis je l’ai sentie bouger et j’ai rouvert les yeux ; elle était en train de se tourner vers moi, comme au ralenti. J’ai vu son sourire et ses yeux brillants. Ses yeux d’abord. Je ne lui avais jamais vu cet air serein, heureux. Et son sourire a dit avec un air ravi, gourmand, mais aussi un peu craintif :

« On s’embrasse, alors ? »

Je ne voulais pas que ça aille trop vite ; il ne fallait pas qu’on aille trop fort. On débutait, on tâtonnait. J’ai proposé :

« On peut s’embrasser comme les anglo-saxons ; tu sais, comme dans les films…on se goûte les lèvres, quoi. »

Elle ne connaissait pas, mais elle était d’accord. On a découvert, on s’est découvertes. C’était aussi très doux, et j’ai refermé les yeux. Au bout d’un moment, elle a dit :

«-Ça aussi, c’est super sympa ; tu le fais avec Boris ? »
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MessageSujet: Re: Franchir le pas - Alea   Franchir le pas - Alea Icon_minitimeMer 30 Juil 2014 - 20:42


Chapitre 5


Putain quelle conne, mais quelle conne ! Ça faisait pas cinq minutes qu’on était ensemble et moi je lui parle de Boris !

Je m’en suis voulu à mort. Mais Chantal, elle a même pas tiqué. Ou si, mais à peine ; elle a ouvert un œil et elle a eu l’air de se marrer. Puis on a recommencé. C’était bien. C’était une bonne idée ; très gentil, très délicat de sa part.

Je ne vais pas détailler ce qui s’est passé après ; rien de vraiment lubrique, mais beaucoup de bonheur. On savait que Stef n’allait pas tarder à revenir et on s’est bien tenues. Il a vraiment bien assuré, Stef, sur ce coup-là. Trouver moyen de nous laisser seules, pile quand j’étais arrivée à l’approcher enfin…

Même pour le retour, il a bien assuré. Il a fait semblant d’avoir oublié ses clefs, ça fait qu’il a sonné et ça nous a laissé le temps de reprendre une contenance. Vraiment fin, le bougre.

Après on a fait comme si de rien n’était. On a mangé, tous les trois ensemble ; Stef avait prévu une petite bouffe et on a fait comme on avait prévu, ni plus ni moins. Mais il m’a dit –plus tard- que j’avais l’air d’une martienne ; les yeux exorbités, et toute rose. Mais je crois qu’il se fout de moi. Chantal était belle. Peut-être un peu plus calme que d’habitude, un peu ailleurs, alors qu’en général elle passe son temps à lancer des vannes. De temps en temps nos regards se croisaient et se disaient plein de choses. Quand Stef était à la cuisine on s’attrapait la main ; on flirtait et ça nous amusait beaucoup. Je découvrais une nouvelle complicité. J’étais sur un petit nuage.

On est parties un peu plus tôt que d’habitude, vers minuit. J’avais eu ma dose d’émotions. J’ai dit que je rentrais me coucher, et Chantal a tout de suite embrayée : « Je t’accompagne ». C’était pas la première fois, mais c’était pas pareil bien sûr…J’attendais que ça. Quand il a fermé la porte derrière moi Stef m’a fait un petit clin d’œil et j’ai dû rougir jusqu’à la racine de mes cheveux.

Il paraît qu’il nous a regardées partir, de sa fenêtre. De temps en temps on se prenait la main, ou par les épaules ; l’air froid de la nuit nous a réveillées ; on a commencé à chahuter, à se bousculer, à batailler avec la neige. A un moment je l’ai bloquée dans une encoignure et je lui ai fait un baiser pas anglo-saxon du tout, celui-là. Puis on est arrivées chez moi. Je lui ai dit en rigolant : « Je t’invite à prendre un dernier verre ? » et elle ne s’est pas fait prier.

On n’a pas beaucoup bu, mais on a beaucoup parlé, dans les bras l’une de l’autre, sur le canapé, le tapis, même le carrelage, à la table de la cuisine. On avait à se dire des choses qu’on ne s’était jamais dites, comme si on ne se connaissait pas. Je n’avais allumée que des petites lumières, des bougies, mis un peu de musique tranquille, qu’on aime toutes les deux ; c’était intime et chaleureux. Je ne sais pas combien de temps ça a duré, puis je lui ai dit : « Tu dors avec moi ? » « Dans l’état où on est, je ne suis pas sûre qu’on dorme beaucoup, elle a répondu, mais on peut essayer ».

Chantal n’avait pas tort ; d’abord, on n’était ni l’une ni l’autre dans un état normal. Et puis, depuis ma séparation d’avec Hervé, j’avais repris un lit une place, mon lit de jeune fille, et on était serrées. Et puis ça faisait des années que je n’avais plus dormi avec quelqu’un, et chacun de ses mouvements me réveillait. Mais c’était bien. C’était tendre et chaud.

Je pense qu’on a dû dormir vraiment à peu près deux heures, entre huit et dix. Quand j’ai rouvert les yeux je ne savais plus où j’étais, mais j’étais bien. Chantal m’a regardée avec une gentillesse infinie et elle m’a dit « Je t’avais bien dit qu’on dormirait pas trop », puis elle a ajouté avec un air un peu triste : « Maintenant il va falloir revenir sur terre… ».

Je savais qu’elle devrait partir. Elle a une autre vie. Et même s’il n’y avait pas Boris, elle bosse à 70 bornes de chez moi. Donc elle aurait dû repartir tôt ou tard. Et même il aurait bien fallu aller bosser de toutes façons. Bref, c’était incontournable. Pas marrant, mais incontournable. Alors j’ai pas fait de drame. On a pris un petit dèj, on s’est encore un peu bécotées, mais pas trop, ça nous faisait trop d’effet, puis on s’est dit au revoir très gentiment. Je ne l’ai pas accompagnée à sa voiture ; j’aurais eu du mal à me tenir bien dans la rue.

Dès qu’elle a disparu de ma vue, j’ai reçu comme un choc et j’ai commencé à réfléchir à 150 à l’heure à tout ce qui s’était passé. Je n’avais pas eu le temps d’y penser jusque là, j’étais « dedans ». Mais là j’ai commencé à gamberger. J’ai un peu déprimé aussi. J’ai éprouvé à peu près un milliard de sentiments à la seconde. Je me suis dit que c’était peut-être la fatigue, le manque de sommeil, et je suis allée prendre une douche pour me réveiller. Puis comme ça n’allait pas mieux j’ai couru chez Stef. Il habite pas loin, à 500 mètres plus ou moins.

D’habitude je débarque pas comme ça chez lui sans prévenir, mais là y avait urgence. J’ai même oublié mon portable. Et heureusement Stef était là, il m’a ouvert grand la porte, avec un sourire immense et il m’a dit : « Alors ? » et je lui ai sauté dans les bras. Puis je me suis rallongée sur son matelas, les mains sous la tête, il m’a demandé comment c’était et j’ai répondu « Magique.» Et d’un coup je n’ai plus su quoi dire. Juste j’avais besoin qu’il soit là ; je ne pouvais plus supporter d’être seule. Ça promettait.

J’ai essayé de faire des efforts pour ne pas trop bassiner Stef, on a parlé de choses et d’autres, mais je n’étais pas dans la conversation. Je ne pensais qu’à Chantal. De temps en temps il me rappelait gentiment : « Hoho… Je suis là… Le Terre continue de tourner. » Je m’efforçais de reprendre la conversation, et cinq minutes après je m’absentais de nouveau et il se marrait. Heureusement qu’il est patient et compréhensif.

Sur le soir, il fallait quand même que je rentre chez moi… préparer la semaine, reprendre le boulot… Je n’avais pas du tout la tête à ça. Encore moins quand j’ai retrouvé mon portable. Chantal y avait laissé 3 SMS ; très gentils. Ça m’a émue et plus.

Je n’ai pas osé lui répondre par SMS ; j’avais peur que Boris tombe dessus. Alors j’ai essayé MSN, mais évidemment elle était pas connectée. Alors je lui ai fait un mail.
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MessageSujet: Re: Franchir le pas - Alea   Franchir le pas - Alea Icon_minitimeMer 30 Juil 2014 - 20:43


Chapitre 6


A l’instant où les choses ont été claires, c’est à dire à la seconde même où, sur ce matelas, L. m’a fait sa réponse, et où je n’ai plus pu douter, j’ai cessé de traquer. Ma trouille a fondu d’un seul coup, d’un seul, et n’a laissé qu’une énorme vague de bien être et de tendresse.

Je n’ai plus éprouvé d’angoisse, de culpabilité ni d’inquiétude ; il m’avait suffi de savoir qu’elle le voulait, pour m’autoriser à le vouloir aussi, et alors tout a été simple et facile, comme entre n’importe quels amoureux.

Quoique j’idéalise peut-être ; les amoureux adolescents connaissent pas mal de tâtonnements, d’angoisse et de stress ; et comme eux, dans le domaine, je sais que nous étions vierges toutes les deux. Mais justement, ce qui me posait problème théoriquement, m’a semblé d’un coup, en pratique, extrêmement simple. Il suffisait de se laisser aller au sentiment, de s’abandonner, d’improviser.

Du moins c’est comme ça que je l’ai ressenti, et je crois avoir été bien inspirée. L. n’a pas réagi de la même manière ; je l’ai sentie plus exaltée, enthousiaste même, et moins sereine ; maladroite d’être trop empressée, trop pleine d’ardeur, presque fébrile. Je me suis employée à l’apaiser, à la rassurer aussi, dès le début, chez Stef, en espérant ne pas la décevoir par ce qui pouvait passer pour de la tiédeur. J’ai essayé de lui faire comprendre que nous ne devions rien à personne, qu’à nous mêmes ; qu’il fallait savoir rester sourdes aux pauvres stéréotypes et images convenues pour n’être à l’écoute que de nos propres envies ; que si nos corps avaient quelque chose à se dire, ils le feraient d’eux-mêmes.

C’est là que j’ai un peu senti la différence d’âge entre elle et moi ; je n’ai pas plus de pratique, mais plus de maturité, donc d’indépendance et de distance face aux idées reçues, aux conceptions communes concernant la sexualité féminine. De son côté elle est, je crois, plus intuitive, mais plus émotive, et donc plus dynamique. C’est sans doute pour ça que nous avons contribué l’une et l’autre à parvenir à une vraie harmonie physique.

Je pense qu’elle a eu l’impression, face à ma sérénité, que c’était moi qui conduisais le jeu, et elle s’en est remise à moi pour la guider dans une découverte que, pourtant, je faisais simultanément. C’était une responsabilité que j’étais cependant absolument prête à assumer, comme si, dans le secret de mon inconscient, je m’y étais déjà préparée. C’est l’impression que j’ai eue, et qu’elle a traduite quand dans la nuit elle m’a dit, en riant d’une moitié, en soupirant d’aise de l’autre : « Je n’aurais pas imaginé que tu aimais les filles… » « Je n’aime pas les filles, l’ai-je détrompée en toute franchise, j’aime une fille. » C’était bien sûr une déclaration, mais aussi un aveu d’innocence. Moi-même, je me surprenais, et dans ma relation avec elle, je me surprends encore. Je ne sais pas où on va, mais j’ai confiance. C’est trop bon pour être mauvais.

Pas mal, celle-là ; je la lui sortirai. J

D’abord, j’ai redécouvert et modifié ma relation à mon propre corps. Dans ma vie ordinaire et banale, mon corps est principalement source de fatigue, et je le soigne comme un simple outil qu’on doit entretenir. Depuis ma relation avec L., et avant même notre rencontre charnelle, dès que j’ai commencé à éprouver quelque chose d’un peu trouble, même si c’était encore indéfini, j’ai eu la joie de me redécouvrir un corps amoureux, comme à vingt ans. Ce n’est pas forcément un corps libidineux, mais un corps agréable et vaillant, dans lequel on se sent bien ; j’ai eu comme une grosse montée d’hormones. Je me suis sentie forte et ferme, je me suis tenue plus droite, j’ai apprécié ma ceinture abdominale –j’ai encore le ventre bien plat- la vigueur de mes bras, j’ai fait jouer mes muscles, et je me suis presque sentie désirable dans certains regards. J’ai même fait des fantaisies vestimentaires –oh, très modestes ! Dans la limite de mes capacités ! Disons que j’ai eu plaisir à mettre, et même à acheter, des vêtements un tout petit peu plus colorés ou fantaisistes que d’habitude ; jusqu’à des trucs de fille. Boris et moi en avons même ri, parce que c’est un événement assez rare, chez moi ; acheter des vêtements est plutôt une corvée, en général ; alors, prendre le temps d’en choisir de jolis et accepter de les porter est une vraie révolution !

En revanche, par rapport à elle, quand nous avons été plus proches, j’ai d’abord été inquiète de sa perception de moi. J’ai craint tout ce qu’elle pourrait trouver de repoussant dans ma pauvre animalité humaine. Avec les hommes cela ne m’a jamais inquiétée ; la plupart des hommes, même ceux qui s’en défendent, aiment nos humeurs corporelles. Ils aiment qu’on se parfume, qu’on se maquille, parce que ça prouve qu’on cherche à leur plaire ; mais une fois dans l’intimité, la plupart se moquent de ces fioritures –et heureusement. Par exemple et pour dire les choses prosaïquement, après vingt ans de vie commune avec Boris, nous pétons allègrement au lit sans plus même y penser… Mais je redoutais particulièrement ces détails avec L. ; je sais que les filles sont plus délicates, et quand j’ai soulevé un bras pour le poser sur le sien, chez Stef, j’étais bien contente que son nez soit loin de mon aisselle…

Depuis, une de mes plus heureuses surprises a été de constater que je lui plaisais même physiquement ; je ne parle pas de désir, qui peut être provoqué par le contact physique même sans attirance visuelle préalable. Ce qu’elle a exprimé par rapport à mon corps ressemble plutôt à un point de vue esthétique complètement inattendu, puisqu’elle s’est comparée à moi, ou l’inverse, et qu’au bout du compte il semblerait qu’elle envie ma poitrine, par exemple, voire mes jambes… Mais avant de la juger folle à lier, j’ai réfléchi et compris qu’elle avait des complexes ; j’aimerais que notre relation aide, au moins, à améliorer l’opinion qu’elle se fait d’elle-même.

En tout cas je crois avoir déjà contribué, au moins, à sa connaissance de son propre corps et, comme je le disais tout à l’heure, à l’écoute de ses propres désirs. Moi-même, en quelques heures, en quelques jours –car il a fallu confirmer, vérifier des hypothèses, transformer les essais, filer la métaphore…-je me suis découverte et j’ai découvert, avec émerveillement, les arcanes du plaisir féminin. Je sais depuis longtemps que notre orgasme n’a pas besoin de fécondation (c’est un orgasme stérile, je trouve l’expression amusante), ni même de pénétration, mais j’ai compris depuis peu qu’il n’a même pas forcément besoin de manipulation, qu’il lui suffit d’un peu d’imagination, de beaucoup d’émotion et d’affection. Je le pressentais depuis longtemps, mais à présent je le sais et je l’éprouve -et je renouvelle l’épreuve ! -avec une joie et un plaisir profonds.

C’est L. qui m’en a fait la démonstration, de façon si éclatante que d’abord j’ai presque cru à une blague, ou à une simulation. J’étais sur le point de lui dire gentiment de ne pas trop en faire quand j’ai vu, à ses yeux égarés, que ce n’était rien de tout ça ; le plaisir lui était tombé dessus sans même qu’elle ait eu à le chercher –ni moi non plus d’ailleurs. Elle en était la première surprise, et toute désorientée. Je pense qu’une telle explosion était liée à sa longue abstinence, mais aussi au degré de tension et d’excitation auquel elle était parvenue à force de nos simples caresses naïves. Je n’ai aucune envie de donner de détails techniques, pour le coup, mais je dois au moins préciser que nous n’avions procédé à aucun attouchement sexuel à proprement parler (proprement ?); c’est ce qui était formidable et inespéré, quand on considère que c’était justement l’aspect technique qui la paralysait –et qui me désemparait un peu, même si j’avais décidé d’avoir confiance dans nos propres ressources ; l’aboutissement m’a prouvé que j’avais eu raison, de surcroît sans me casser la tête ni avoir à forcer des choses qui ne demandaient qu’à venir.

« Je ne sais pas ce qui m’a prise » m’a-t-elle dit, encore confuse, presque gênée, quelques instants après, en retrouvant son souffle. « C’est parce que tu es là, je ne sais pas… ça ne m’est jamais arrivé avant. ».

Sur le coup, je me suis sentie très flattée, et très envieuse. Très heureuse d’y être pour quelque chose, puisqu’elle le disait. Mais je n’y croyais qu’à moitié. La connaissant mal sous cet angle, la découvrant à peine, j’ai pensé qu’elle était simplement excessivement démonstrative -ce qui, à vrai dire, me surprenait un peu la connaissant-, et trop gentille.

Il m’a fallu un peu plus de temps mais j’ai fini par constater de moi-même que ce n’était ni l’un, ni l’autre, mais réellement un plaisir qui nous envahit presque par surprise, du moins la première fois. Il n’y a pas de « truc », ce serait trop simple ; on n’est au contraire jamais sûre que ça va marcher, on ne sait même pas comment en approcher. Enfin j’exagère un peu ; il y a quand même des conditions favorables et facilitantes. Mais la première, la base, la condition fondamentale, nécessaire et suffisante, c’est d’être amoureuse. La magie opère toute seule –même si on peut l’aider un peu. On n’y est pas obligées ; il suffit d’être ensemble, amoureuses, et disponibles au plaisir. Alors il n’y a pas grand chose à faire : il viendra presque tout seul. Si on procède autrement, si on le force à venir, c’est là que ça devient obscène : ce n’est plus que de la mécanique ; la magie a disparu… Je sais que c’est facile de présenter ces choses avec la légèreté d’une amoureuse comblée ; dans six mois, dans un an peut-être je chanterai une autre chanson, ou j’aurai recours à des artifices scabreux. Mais aujourd’hui, c’est le bonheur. Comme je ne l’aurais jamais imaginé. Et il sera toujours temps de penser à plus tard.


On m’a dit un jour, quand je me plaignais de devenir trop sensible, que c’était une forme de maturité. Depuis que j’ai une trentaine d’années, et après quelques accidents de vie, j’ai constaté que ne supportais plus certains films, ou même livres, voire des idées que je trouvais trop violentes, trop inhumaines ; la question de la torture par exemple est une réalité –malheureusement- que je trouve insoutenable. J’ai longtemps vécu cette sensibilité comme un handicap, comme de la sensiblerie, d’autant qu’avant je résistais très bien, je pouvais avec Boris regarder « Massacre à la tronçonneuse » en riant grassement. En plus de ça, je me suis mise à pleurer (ou à brailler) en écoutant des musiques débiles, mais chargées d’émotions personnelles, souvent indistinctes, ou troubles, et surtout très anciennes. Je sais que cela arrive aussi à des amies de mon âge. De même certains parfums me plongent parfois dans des états presque oniriques, à la recherche d’un souvenir introuvable. Ce sont des états particuliers, agréables, mais perturbants.

Il y a peu, on m’a présenté les choses de façon beaucoup plus positive, comme si j’avais assez de force à présent pour m’ouvrir à des émotions qu’auparavant je refoulais pour m’en protéger. Je pense qu’à cette évolution est liée aussi mon acceptation de ma relation avec L., que je n’aurais sans doute pas pu envisager il y a quelques années ; et c’est aussi parce que cela m’arrive maintenant, quand je suis mûre pour l’accepter, que le plaisir, un plaisir nouveau, et intense, peut s’y associer. Chaque étape de la vie connaît ses gratifications, à condition de savoir les attendre. Je n’imaginais pas une seconde l’ampleur de ce que je pouvais espérer, mais je suis d’autant plus heureuse d’avoir attendu d’y être prête, et peut-être, aussi, d’y avoir travaillé. Quant à L., elle a plus de chance –ou de maturité ?- que moi, puisqu’elle l’a connu avec dix ans d’avance. Peut-être d’ailleurs que j’y suis pour quelque chose ? C’est en tout cas ce qu’elle ne cesse de me dire, en ce moment. Et c’est excessivement doux à entendre.
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MessageSujet: Re: Franchir le pas - Alea   Franchir le pas - Alea Icon_minitimeMer 30 Juil 2014 - 20:43


Chapitre 7


Je ne savais pas que ce serait comme ça, je n’imaginais pas que ce serait aussi bien. Chantal me dit qu’elle n’a pas de critères, de point de comparaison, qu’elle ne sait pas comment ça se passe « les autres fois » parce que pour elle aussi, c’est la première. Je la crois, elle est incapable de mentir, mais quand même j’aimerais bien savoir si c’est toujours aussi fort et aussi doux à la fois. Aussi inattendu aussi ; la première fois je n’ai rien senti venir, rien contrôlé ; c’est sûrement pas plus mal d’ailleurs, mais ça m’a fait tout drôle. Avec quelqu’un d’autre que Chantal, je crois que je me serais sentie super gênée, après. Mais elle a su me mettre en confiance. Ça me fait marrer, quand je pense à tous ces mecs qui se donnent du mal pour nous faire tourner la tête…

Ce qui est sûr, c’est que c’est parce que c’est elle. Personne ne m’a jamais fait un effet pareil, je veux dire, même à distance, ou plutôt, même sa simple présence. Quand elle arrive, déjà je me sens bien. J’ai envie de me blottir dans ses bras et de me laisser aller. Et ça tombe bien, parce qu’on dirait que c’est tout ce qu’elle veut elle aussi. On peut passer des heures comme ça.

Quand elle est là, j’ai aussi toute la tension de l’absence et de l’attente qui retombe. Parce que c’est pas facile d’être séparées. En un claquement de doigts –une nuit, en fait, la première- je suis devenue complètement accro à sa présence. Quand elle est là elle arrive à me faire oublier qu’elle va repartir ; je m’oublie, je m’abandonne. Mais dès qu’elle est partie je sens comme un vide, et c’est douloureux. Alors je me jette sur l’ordi, le portable. Et quand j’arrive à la joindre je suis à la fois soulagée, et frustrée, parce que je sais qu’elle est là, et loin en même temps.

Ce que je vis n’est pas complètement nouveau ; il m’est arrivé d’être aussi accro avec un mec. La différence avec Chantal, c’est que je le lui dis ; je n’ai aucune pudeur, aucune fierté. J’ai une confiance absolue en elle, plus que je n’ai jamais eu en personne. Je sais qu’elle ne va pas en abuser, me blesser.

C’est pas seulement parce qu’elle est fiable, c’est parce qu’elle m’a fait comprendre tout de suite qu’elle m’aimait telle que j’étais, dans ma totalité, mon intégrité. Avec les autres, avec les mecs surtout, j’ai toujours peur de déplaire, de décevoir. Avec Chantal, non. Je sais qu’elle est sincère et même dure, elle ne me fera pas de compliments hypocrites, elle ne me dira pas que je suis belle si elle ne le pense pas. Elle me fait peu de compliments sur mon physique et je n’en attends pas ; mais j’ai l’impression qu’elle m’aime plus encore parce qu’elle aime mon regard, ma voix et mon odeur.

L’odeur, surtout, ça m’a surprise. Les premiers temps elle respirait mon parfum, après elle a été curieuse de mon savon. Et puis elle m’a suggérée de ne plus me parfumer -enfin c’était de l’eau de toilette ou du déo- sous prétexte de « mieux me sentir ». J’ai pas trop osé d’abord ; on m’a tellement appris à « être propre et sentir bon »… Mais une ou deux fois on s’est vues assez longtemps pour qu’elle ait l’occasion de retenir ma main, après la toilette, quand j’allais me parfumer. Et elle s’est presque mise à me flairer, en disant : « Il faut que je te connaisse complètement .» Moi aussi, j’ai appris à connaître et aimer son odeur, sans m’en rendre compte. D’abord il a fallu que j’arrête de me parfumer –quand on est parfumée on ne sent que soi, et encore, un « autre soi », et en réalité on s’écarte de son corps. Je me suis réappropriée mon odeur, sur les draps par exemple ; et j’ai commencé à sentir la différence, presque un manque, quand la sienne n’y était pas… L’odeur et la voix de quelqu’un, c’est l’essence de sa personne ; il y a le contact de la peau aussi. Comme c’est ce que Chantal apprécie particulièrement chez moi, presque à l’excès, je me sens aimée entièrement, pour ce que je suis vraiment et non pour des artifices. Je me dis aussi qu’elle m’aimera même dans mes défauts, et c’est encore plus fort. C’est quelque chose d’absolu et de totalement fiable, c’est un amour inconditionnel.

Ce qui est nouveau aussi c’est que j’ai facilement accepté d’y croire. D’habitude je suis plus méfiante, et je ne crois pas à ce qui est trop beau. Justement, là, ça aurait dû me paraître trop beau, mais non, j’y ai cru. Est-ce qu’on peut imaginer qu’un être n’est là que pour vous faire plaisir, sans intentions égoïstes de son côté ? Et pourtant, avec Chantal, je le crois. Le doute n’existe pas, c’est ce qui est bon, même si ça ne me ressemble pas. Avec elle, je ne me reconnais pas, mais je suis tellement mieux que celle que je connaissais avant, que je l’accepte complètement, sans inquiétude. C’est reposant aussi.

Du coup, je n’ai pas trop de fierté ni de pudeur ; je m’abandonne à la confiance et moi qui cachais tout, avec elle je me retrouve un peu comme une gosse. Je lui dis ce que je pense, ce que j’éprouve, sans retenue. Je sais qu’elle n’en jouera jamais, je sais qu’elle n’en parlera à personne, et ça me fait tellement de bien. C’était ça que je cherchais en fait, dans une relation ; quand je disais qu’il n’y avait pas que les hormones. J’aspirais à cette écoute, ce partage, et j’ai senti qu’il n’y avait que chez elle que je les trouverais. Bien sûr je fais encore assez souvent ma fanfaronne, surtout quand il y a les autres et que je ne veux pas me trahir. Avec Chantal je joue, parfois par humour, parfois par habitude ou mal-être : Chantal le voit tout de suite, et elle me décoince. Avec humour aussi ; mais je comprends bien que je ne peux être que sincère. Elle me perce à jour sans hostilité ; elle lit en moi comme dans un livre, pourtant je ne me sens pas examinée, fouillée, au contraire, je me sens entourée et soutenue, comme d’une douce chaleur. Chantal est une douce chaleur, au propre comme au figuré.

J’aimerais juste pouvoir lui rendre ce bonheur, mais je ne suis pas sûre d’en être capable. Je me croyais compliquée, Chantal m’a simplifiée ; mais elle, elle reste compliquée. On se demande souvent, dans les couples amoureux : « A quoi tu penses ? » ; elle n’a pas besoin de me le demander, elle le sait ; en plus je ne suis pas une rêveuse. Mais elle, quand on est ensemble, elle le devient. Alors qu’avec le groupe elle est toujours boute-en train, dans l’intimité elle s’absente et quand je lui demande « A quoi tu penses ? » elle me parle de sujets qui sont à des années-lumière de notre dernière conversation, ou elle me dit le plus souvent : « A rien ; je suis bien, là. » Une fois elle m’a dit : « Tu es mon opium.» Avec elle je dis tout ce que je ne peux dire à personne, je parle beaucoup, avec moi elle plane et elle se tait avec un sourire de Bouddha. Au moins je n’ai pas l’impression de la rendre malheureuse. Et puis ça ne l’empêche pas d’écouter attentivement et de répondre toujours quelque chose de juste, d’adapté, de judicieux…ou de marrant. Comme quand elle a ajouté, un peu après, que les opiacés, d’abord, ça fait gerber. La salope.



Ce qui a été dur, ça a été de gérer les autres. Ni elle ni moi on ne voulait que ça se sache. Moi par pudeur, parce que je crains les blagues des uns et des autres, surtout de Mélanie, et aussi parce que je ne sais pas trop comment me situer par rapport à cette histoire. La situation est trop nouvelle pour moi, je n’ai pas honte, mais je sais que le regard des autres sur moi va changer, et je n’y suis pas vraiment prête. On en a parlé avec Chantal. Elle, elle semble prête à l’assumer mieux, mais il y a Boris, bien sûr.

Aussi, elle m’a dit un jour qu’on devait rester discrètes pour ne pas me « compromettre ». Je n’ai pas compris tout de suite, ça a été plus clair quand elle m’a dit qu’on devait continuer à sortir, à aller draguer dans les boîtes avec Céline, ce genre de trucs. « Un jour ou l’autre, elle m’a dit, tu te trouveras le petit mec qu’il te faut. » J’ai été blessée ; je ne suis pas comme ça. Je n’ai jamais été infidèle, ça fait partie de mes exigences par rapport à moi-même. Et Chantal le sait très bien, et je le lui ai redit. Elle m’a dit « Oui, mais on ne sait pas où on va, toutes les deux, et tu ne dois pas te fermer de portes. » En gros, elle pense à mon avenir –trop sympa !… Mais moi je ne peux pas envisager d’autre relation tant que je suis dans celle-là. Ça aussi, elle le sait… Alors je fais semblant, sans conviction. On sort en bande, comme avant, je me fais brancher, comme une fille seule, et Chantal est là, elle le voit, et elle pense que c’est pour mon bien… Enfin à vrai dire dans ces moments-là elle évite de s’intéresser à ce qui se passe, elle trouve plutôt des prétextes pour aller voir ailleurs, elle va fumer, elle discute avec d’autres, bref, elle me laisse libre. Je sais qu’elle s’interdit d’être jalouse et possessive. J’ai même l’impression qu’elle est capable de ne pas en souffrir, parce qu’elle croit le faire pour moi. Mais moi j’ai qu’une hâte, c’est que la soirée finisse et qu’on se retrouve toutes les deux. Je gère le mec vitef, je lui trouve un défaut rédhibitoire, puis je vais demander à Chantal si elle peut m’accompagner aux WC…

Ça n’a pas été facile de gérer notre histoire secrète en plus du groupe. Mélanie surtout est critique et observatrice, quand j’ai des coups de mou elle est la première à faire remarquer que je ne bringue plus comme avant, que je rentre me coucher plus tôt, et tout ça. J’ai assez de caractère pour décider de ne pas sortir un soir sans avoir à me justifier, heureusement. Mais si ça coïncide trop souvent avec des soirs où, comme par hasard, Chantal est censée être prise ailleurs, à la longue ça finirait par être remarqué…

On a donc continué presque comme avant, à se voir avec tout le monde les soirs de WE, mais heureusement Chantal a trouvé moyen de me rejoindre un soir de la semaine où on n’avait pas l’habitude de se retrouver ni de sortir, parce qu’on bosse tous le lendemain. Elle a déplacé des heures, un truc comme ça, quant à moi j’ai prétendu que j’avais un cours particulier de guitare et j’éteins mon portable, je ne réponds plus au téléphone, rien, silence radio jusqu’au lendemain. C’est notre soirée à toutes les deux, sauf qu’on n’ose pas trop sortir parce que si on croise des copains en ville ça finirait par se savoir… Ceci dit on est bien chez moi, aussi.

A part ça, on se retrouve les WE, des fois pour des soirées tranquilles, des fois pour des fêtes plus ou moins déjantées. Des fois il y a Boris, des fois non, et quand il n’y est pas Chantal finit toujours par me rejoindre chez moi, en fin de soirée, en fin de nuit. Ça suppose qu’elle tient la route plus longtemps que moi, mais en fait, c’était déjà vrai avant ; je rentrais à des heures raisonnables dans des états raisonnables, alors qu’elle tirait jusqu’à l’aube à refaire le monde avec l’un ou l’autre. Comme je le disais : en société, c’est une grande bavarde, une grande oreille aussi. Elle a l’art de la conversation, quelle que soit cette conversation ; et elle est de bonne compagnie à toute heure, toujours vaillante, increvable.

Donc maintenant les week-ends on continue comme si de rien n’était, et on se voit avec le groupe. Par contre souvent nos regards se cherchent, ils sont tendres et complices ; c’est doux, et même érotique. C’est comme un dialogue silencieux, fait de ce qu’on vient de vivre –souvent on s’est retrouvées un peu plus tôt en fin d’après-midi- et de ce qu’on se promet pour le soir, pour après, quand on sera plus que toutes les deux. Et puis aussi bien sûr, devant le groupe on continue nos conversations d’amies. Tout le monde sait qu’on est bonnes copines, pourquoi on ne se parlerait pas ? Là parfois je me sens un peu schizophrène, parce que c’est à Chantal que je parle, mais comme je lui parlais avant…avant qu’on se rapproche. J’ai l’impression de jouer la comédie, mais je ne sais plus à qui. Les autres heureusement ne remarquent rien ; ils sont trop occupés d’eux-mêmes –ce n’est pas un reproche-, parfois déjà trop saouls –ce n’est pas un reproche non plus- et puis ils n’imaginent pas ce qu’il y a entre nous, et comme le groupe est à géométrie variable on peut très bien faire référence à des moments où ils n’étaient pas là… Il nous arrive même de jouer à faire des sous-entendus, des allusions qu’on est les seules à comprendre, et de ricaner comme deux ados, mais on évite, parce que même si les autres ne comprennent pas la vraie origine, ça les agace, et c’est pas la peine de jouer avec le feu. Avec Stef aussi, de temps en temps, on joue à ce petit jeu, puisqu’il sait presque tout. Il se plaint de me voir moins, mais il y a encore des soirs où Chantal est chez elle et où Stef et moi on discute comme de vieux amis. Et puis aussi, les lendemains de fête, il lui arrive de me rendre visite –comme je lui rends visite, et souvent Chantal est là. Il n’y a plus tout le groupe, il n’y a que lui, alors on ne se cache pas. Ça fait du bien aussi d’avoir un confident, quelqu’un qui nous accepte. C’est aussi l’occasion d’afficher notre tendresse –en toute décence quand même !- d’exister en tant que couple. On a besoin de se voir dans un regard extérieur.

Le changement le plus visible, c’est l’absence plus fréquente de Boris. Plusieurs copains ont remarqué qu’il venait moins, et Chantal a été assez maligne pour que ce soit lui qui paraisse moins motivé. En tout cas quand il vient à une soirée et que quelqu’un lui dit que ça fait un moment qu’on ne l’a pas vu, il dit avec sincérité qu’il a moins envie de sortir, bref il a l’air d’y croire, et les autres aussi. Après tout ça peut très bien être vrai, au moins en partie, mais je pense quand même que Chantal y est pour quelque chose.

Boris je l’aime bien, je l’aimais bien avant et je n’ai aucune raison de ne plus l’apprécier, d’autant que dans le schéma « traditionnel » c’est plutôt à lui d’être fâché après moi que l’inverse… Ceci dit j’ai beaucoup plus de mal maintenant à gérer son existence, tout simplement parce que je pense que s’il n’était pas là, je verrais Chantal deux fois plus, au moins, et peut-être même qu’on aurait des projets communs. Chantal me dit que non, toujours dans l’idée de « ne pas me compromettre », mais j’ai des doutes, parce que pour moi notre relation est trop importante pour ne pas avoir envie d’aller plus loin –même si je ne sais pas trop où ! Bref je me retrouve un peu dans la situation de la maîtresse, ou de l’amant, je ne sais pas trop, qui attend dans l’ombre, passivement, que le couple légitime explose. Et ça me pèse. D’autant que je n’en ai pas vraiment envie ; pour les copains, et pour moi aussi il n’y a pas si longtemps, Chantal et Boris incarnaient un peu le couple idéal. En plus je n’ai pas envie d’être responsable d’une tragédie. Jamais donc je n’ai eu l’idée de demander à Chantal de quitter Boris ; je ne sais pas comment elle réagirait. Je respecte leur relation et leur intimité, même s’il m’arrive de poser des questions cons comme la première fois. La plupart du temps Chantal en rit et les ignore, mais quelquefois je m’obstine dans ma connerie, alors elle répond très honnêtement –même si je sens que le sujet la dérange, qu’elle n’aime pas quand je lui parle de Boris. Moi-même c’est un sujet qui me chiffonne. Je sais qu’il existe entre eux quelque chose, une alchimie qui les a faits vivre ensemble 20 ans, que je ne peux pas m’imaginer, mais que je peux envier. Je sais aussi que c’est pas toujours parfait entre eux, Chantal me le dit quand ils s’engueulent…mais elle ne me parle pas de la réconciliation –et je n’ai pas envie d’en entendre parler. De temps en temps elle fait référence à lui, parce qu’il lui a appris tellement de trucs, ils ont déjà eu tellement de discussions durant toute leur vie commune ; et puis ils passent ensemble quand même plus de la moitié de la semaine…

Je pressens qu’il est très présent dans son esprit, qu’elle a besoin de lui pour son équilibre, qu’il la rend heureuse ; mais moi alors ? Il paraît que je la rends heureuse aussi. Alors bon… Je préfère ne pas y penser. Chantal dit qu’elle a besoin de nous deux et je ne me sens pas le droit de l’obliger à choisir. Heureusement en société ils sont tellement « vieux couple » qu’ils se tiennent bien, et je pense même que Chantal fait attention à ne pas me froisser en évitant les démonstrations ; on dirait de très vieux amis. Mais justement, il y a parfois des gestes un peu automatiques qui trahissent une vieille intimité. Et moi je les remarque, maintenant. Sur le coup je me sens triste. Chantal ne sait pas pourquoi, mais elle le voit, elle me devine et vient me faire la conversation, innocemment et très gentiment. Plus tard, quelquefois je lui dis ce qui m’a rendue triste ; mais qu’est-ce qu’elle y peut ?

De toutes façons, je préfère ça à rien ; Chantal et moi on n’a jamais de dispute ; elle m’a appris à ne pas être jalouse, en me convaincant entre autres que je n’avais pas de raisons de l’être, que la jalousie c’était la peur d’être abandonnée et qu’elle ne m’abandonnerait jamais. Je sais, elle pense que c’est moi qui l’abandonnerai. N’importe quoi ! Quant à Boris, je sais qu’il m’aime bien. Il est super sympa avec moi, et on s’entend bien, même si j’ai parfois l’impression d’être malhonnête. En fait je me demande s’il n’a pas compris, lui aussi. Je me demande même si Chantal ne lui a pas parlé de nous. Je sais qu’il est ouvert d’esprit, et peut-être que lui n’a pas peur d’être abandonné ? En tout cas Chantal ne lui cache pas qu’elle finit souvent les soirées chez moi, ça je le sais. C’est normal de se dépanner les soirs de fête, pour ne pas conduire bourré : c’est une bonne raison, bien raisonnable et officielle. Après, on n’est pas obligé de préciser dans quel lit on a dormi…
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Franchir le pas - Alea Empty
MessageSujet: Re: Franchir le pas - Alea   Franchir le pas - Alea Icon_minitimeMer 30 Juil 2014 - 20:44


Chapitre 8


Je crois sincèrement que, pour l’instant, notre relation avec L. aura vraiment été bénéfique à l’une comme l’autre.

Depuis quelques semaines, après les tâtonnements des débuts, nous avons pris un rythme de croisière ; j’ai un peu honte d’avouer ainsi mon goût pour la routine…mais après tout, au cœur d’une aventure comme celle-là, il n’y a pas de mal. En fait, pour L. comme pour moi, il était nécessaire de trouver une stabilité. Je crois que nous avons été un peu déboussolées toutes les deux par ce qui nous arrivait ; j’avais besoin de calme, pour y voir clair. Et elle a énormément besoin d’être rassurée.

Ce n’était pas évident, au début ; j’avais mauvaise conscience, par rapport à elle, quand je la quittais, sachant que je la laissais seule, alors qu’elle savait que j’allais retrouver Boris. Par rapport à Boris je me sentais aussi un peu mal à l’aise, mais moins, parce qu’il m’est plus facile de le protéger : il suffit de lui mentir par omission et il ne s’inquiète pas. Tant que ma relation avec lui n’en souffre pas, il ne cherche pas plus loin. Je le soupçonne malgré tout d’avoir deviné quelque chose, car il me connaît extrêmement bien. Mais il ne cherche pas à aborder le sujet avec moi ; heureusement, car c’est vraiment quelque chose que je ne peux partager avec lui.

Avec L., donc, nous avons pris quelques petites et douces habitudes. Nous nous faisons beaucoup de bien ainsi. C’est l’histoire du Petit Prince et du renard –même si je suis désolée de réinvestir ce récit très pur dans une histoire qui peut paraître scabreuse : toute ma semaine tourne autour des moments où nous allons nous retrouver. Si je sais que nous nous retrouvons à six heures, à midi je commence à y penser… Non, ça c’est encore trop modéré. J’y pense tout le temps en réalité, mais je ne le lui dis pas trop pour ne pas l’effrayer.

En tout cas je ne me fais pas désirer ; je suis à l’heure, et je me retiens même parfois pour ne pas être en avance. Elle s’y tient aussi ; en cas d’empêchement, nous nous tenons informées avec beaucoup de soin. En gros, nous savons presque toujours où est l’autre et ce qu’elle fait à toute heure du jour et de la nuit. Ajoutons à cela une correspondance assidue par tous les moyens modernes, et on peut considérer que je passe avec elle, en réel, en communication et en pensée, les trois-quarts de mon temps. Même pas ; hormis quand je dors –et que je dors sans elle- je crois qu’il n’y a pas une heure où je n’ai pas une pensée pour elle. Cela non plus je ne le lui dis pas pour ne pas l’effrayer. Je suis d’accord pour qu’elle m’envahisse, mais je ne veux pas l’encombrer ; elle a sa vie à faire.

Ce qui me rend heureuse, c’est de la voir épanouie ; tellement plus sereine et heureuse qu’avant, que je ne peux pas m’imaginer avoir eu tort de construire cette relation. Bien sûr cela me fait beaucoup de bien à moi, mais si ce n’était que pour moi, et qu’il y ait le moindre nuage de son côté, je me sentirais coupable ou inquiète. Tandis que là, son sourire me rassure complètement. Et pas seulement son sourire, son attitude, sa façon d’être. Je la sens enfin bien dans sa peau, détendue, aimant la vie, sans angoisse –même si, évidemment, il reste des questions non résolues. Je crois qu’elle a accepté l’idée qu’elle était digne d’être aimée, qu’elle a appris à faire confiance, à se faire confiance, à se laisser aller, à s’abandonner, et c’est allé si vite que j’en ai même été surprise au début. Elle laisse ressortir avec moi son côté enfant, extrêmement touchant, et j’y suis d’autant plus sensible que je le prends comme une réelle marque de confiance. C’est cette confiance que je voulais, c’est cela dont elle avait besoin, j’en suis certaine aujourd’hui.

Notre relation est faite avant tout de tendresse. Moi, de mon côté, j’ai compris que c’était cela que je recherchais : la confiance et l’abandon, bien sûr, qui se traduisent par l’intimité physique, nécessaire pour affirmer cette confiance et cet abandon total. Mais, dans cette intimité physique, cette osmose affective, le point culminant est, pour moi, la tendresse plus que la jouissance.

Je le pensais déjà, confusément, avant même le début de notre relation, quand je disais éprouver pour L. une tendresse infinie (je le sais, ça m’arrive de me relire aussi !). Bien sûr, le plaisir est une partie fondamentale de la relation ; mais la jouissance n’est ni un dû, ni une obligation ; c’est une prime. La relation, elle, se construit réellement sur la tendresse. J’irais même plus loin, disant que je n’ai pas besoin d’L., ni de personne, pour la jouissance. Par contre la tendresse solitaire est impossible. La tendresse est la seule chose qui soit nécessairement vécue à deux. Et c’est si simple, si immédiat… Si facile de se vautrer plusieurs heures côte à côte, en lisant toutes les deux un bouquin (que l’autre connaît bien sûr) ; de poser ma tête sur sa cuisse pour m’en faire un oreiller devant un film débile, et de se laisser aller à rire de ces débilités…d’échanger, au cours d’une partie de cartes avec les amis ignorants, des effleurements ou des regards bouleversants…de marcher dans la neige main dans la main…

Ce dernier geste, malheureusement, nous ne nous l’autorisons pas –pas en public. Il est trop chargé, socialement, il implique trop de réactions négatives ; ce qui prouve bien que la tendresse est quelque chose de puissant, à tous les niveaux, puisqu’une de ses manifestations les plus élémentaires peut aussi être source de problèmes…



Dans ce que cette relation m’a apportée à moi, il y a eu plusieurs degrés, plusieurs époques. D’abord, et même avant qu’on se déclare, il y a eu le renouveau provoqué par le sentiment amoureux : c’est tellement agréable d’être amoureux, et il y avait si longtemps que je ne l’avais plus été, surtout à ce point-là… J’en ai parlé déjà ; d’un coup je me sentais revivre, vibrer, chargée d’émotions intenses, parfois à moitié folle. J’ai été comme revitalisée : cela m’a fait beaucoup de bien.

J’ai aussi été flattée ; le désir d’autrui est toujours flatteur, d’autant plus que dans mon cas ne pensant pas pouvoir plaire, j’avais depuis longtemps abandonné cette prétention : le regard de L. m’a réveillée, révélée. De nouveau, comme à vingt ans, je me suis sentie désirable, et c’est souvent parce qu’on en a le sentiment qu’on le devient. On sourit tout le temps, on devient beau, on a les yeux qui brillent, on est plein d’aisance, de confiance et on respire le bonheur, on rajeunit réellement. C’est aussi l’effet que je voulais avoir sur L., et je crois y être parvenue. Ce qui est cruel pour moi, d’une certaine manière, car je considère que le jour où elle sera tout à fait bien dans sa peau, sereine, s’acceptant et acceptant d’être aimée, ce à quoi je travaille assidûment, elle n’aura plus besoin de moi. Elle sera mûre pour une relation viable –et à mon grand regret je ne pense pas que la nôtre le soit ; j’aimerais lui faire des serments éternels, mais ce serait contraire à ma lucidité. Ensemble, nous franchissons une étape très importante dans la vie de l’une comme de l’autre ; mais ce n’est pas avec moi qu’elle construira sa vie. Il peut m’arriver d’en rêver, sans le lui dire ; car je ne veux pas l’y contraindre. Je ne veux pas qu’elle se sente engagée envers moi. L. m’a déjà donné tellement.

Aussi, cette relation révèle et valorise ma féminité, enrichie par la découverte d’une autre. C’est la découverte la plus belle et la plus douce de cette liaison, de cet amour. A priori, je considérais plutôt nos féminités comme un double handicap, et je ne savais comment gérer la question. J’avais peur de souhaiter être un homme pour pouvoir la satisfaire, ou de souhaiter qu’elle en soit un. Mais c’est le contraire qui s’est produit, pour notre plus grand bonheur. Notre féminité commune est devenue un atout, un lien supplémentaire et même une nécessité. Je ne peux imaginer L. dans un rôle masculin ; ce serait quasi monstrueux. C’est sa féminité, au contraire, qui m’a séduite. Et à l’inverse, je ne m’imagine pas une seconde dans un rôle d’homme. Pour parodier le comique cynique : plus je connais les femmes –ou plus exactement une femme-, plus j’aime en être une… Et j’ai l’impression que nous sommes parfaitement complémentaires, même si les lois de la nature pensent autrement.

Ainsi j’ai pu prendre certaines libertés par rapport à une conception courante très étriquée de la féminité. Je sais que cela préexistait en moi, mais je l’ai plus facilement reconnu grâce à ma relation avec L. et c’est une liberté qui me paraît fondamentale. J’ai cessé par exemple de considérer qu’il y avait des traits de caractère, des goûts ou des aptitudes masculins ou féminins ; cela, curieusement, a été acquis pour les hommes depuis la génération SIDA ; ou peut-être même avant, avec les errances du MLF. Mais cela ne valait que pour les hommes seulement : d’un coup on leur reconnaissait le droit d’être sensibles, faibles, vulnérables ou de vouloir, garçons, jouer à la poupée. Mais l’inverse ne s’est pas développé, et on a abouti paradoxalement, avec la libération des mœurs, et de la femme prétendument, à une situation où les hommes avaient accès aux privilèges des femmes, sans que la réciproque soit réellement vraie ; disons que la réciproque se limitait à la sphère du travail : on a reconnu aux femmes le droit d’être aussi esclaves que les hommes (un peu moins payées tout de même). Magnifique progrès ! Mais ce terrain-là ne présente aucun intérêt à mes yeux ; ce qui m’intéresse, c’est qu’on reconnaisse aux petites filles l’envie de jouer aux billes, aux voitures ou, malheureusement aussi, avec des fusils. Ou aux demoiselles de se complaire dans leur crasse, leurs chaussettes jetées à travers la chambre, dans un désordre indescriptible, à se vautrer devant des jeux vidéo débiles. Je vois des narines se froncer : on accepte mieux l’image du jeune homme un peu trop pomponné que celle de la jeune fille négligée : c’est bien la preuve que l’évolution des mentalités s’est toujours faite dans le même sens, celui du développement et de l’enrichissement de la personnalité masculine…

J’ai toujours eu, je crois, des prédispositions à la remise en question, et surtout une grande indépendance de caractère ; je veux dire par là que je n’accepte pas les idées reçues, préférant me faire les miennes propres. Par exemple j’ai toujours eu du goût pour des tâches considérées comme masculines, moins parce qu’elles demandaient de la force que parce qu’elles impliquaient de se salir ; or j’adore me salir –et j’adore ensuite me laver. J’aime bien sûr exercer ma force sur les objets, ou savoir utiliser un outil à bon escient. J’aime enfin avoir le corps marqué par l’exercice : gamine, j’étais fière de mes genoux croûtés, et plus tard, de mes mains de mécano, et même de mes ongles noirs de crasse. J’aime utiliser mon corps comme un outil, lui faire des creux et des bosses, admirer sa faculté de réparation, et je ne vois pas en quoi ce tempérament serait exclusivement masculin. J’adore aussi boire la bière à la canette en fumant une clope et en plissant les yeux pour me donner un genre. Si je devais changer de vie et d’époque j’aimerais être cow-boy ; cow-girl plutôt. Pour quelle raison devrais-je changer de sexe? Je suis très satisfaite de mon corps de femme ; je le trouve fonctionnel, complet et agréable, et je ne vois aucune raison à ce qu’on canalise ses envies sous prétexte que c’est un corps féminin.

Voilà le genre de questions que ma relation avec L. a mises au jour ; jusque là je les tenais enfouies dans un coin de mon cerveau comme quelque chose d’un peu anormal. C’était une bizarrerie dont j’avais conscience, qui m’amusait bien dans le fond, mais que je préférais tenir secrète par peur du jugement d’autrui. Quand une copine se pâmait parce qu’elle s’était cassé un ongle ou un talon, je riais sous cape et je me disais que j’étais bizarre, pour une fille. Mais la remise en question n’est plus de circonstance : j’ai grandi, j’ai mûri et maintenant j’ai décidé de m’affirmer, de m’accepter telle que j’ai envie d’être, sans rejeter une envie ou un goût sous prétexte que ce n’est « pas très féminin ». Ce ne sont pas les autres, et encore moins les hommes, qui ont à décider de ce qui est féminin ! Moi qui suis une femme, heureuse de l’être, et de surcroît en mesure d’apporter du plaisir et du bonheur en tant que femme, je sais mieux que personne décider de ce qui est féminin, ou pas ! Et ma relation avec L. m’a beaucoup apporté sur ce plan-là –aussi. Je pense que ma réflexion, jusqu’alors informulée, mon évolution a trouvé un écho en elle ; qu’elle était sur la même voie, déjà avant de me connaître. Je pense même que toute femme un peu moderne, qui ne se laisse pas enfermer dans la pensée préfabriquée, ni dans le carcan des rôles qu’on veut lui imposer –l’épouse modèle, la femme active, la mère…- se pose un jour ces questions : qui suis-je, et que suis-je en tant que femme ? De quoi ai-je réellement envie, et ma condition de femme me donne-t-elle le droit d’y avoir envie ? Sinon, cela fait-il que je ne sois pas une « vraie » femme ? Certainement pas. Avec la société moderne le prétexte de l’instinct ne tient plus, et je suis bien heureuse que cela nous ait permis, à L . et moi, de nous comprendre réellement.

Du coup, je constate que je parle beaucoup de moi, bien plus que d’elle ; c’est parce que notre histoire m’a servi de révélateur et que j’ai besoin d’analyser toute cette nouveauté, tout ce que je découvre, tout ce que je constate, et qui survient dans mon corps ou dans mon esprit ; il s’en passe certainement autant dans ceux de L., mais je n’y suis pas et je ne peux le dire à sa place –ou seulement ce qu’elle me dit ou me fait comprendre. Alors je parle de moi, un peu comme un objet d’étude –et qui ne cesse de me surprendre et de me ravir. Ça ne veut pas dire que je ne pense pas à L., au contraire. Mais elle ne saurait être à mes yeux, justement, cet objet d’étude. Elle est bien autre chose !
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MessageSujet: Re: Franchir le pas - Alea   Franchir le pas - Alea Icon_minitimeMer 30 Juil 2014 - 20:44


Chapitre 9


Moi, avec cette histoire, un moment, j’ai remis en question ma relation aux hommes, en général. Durant une période j’ai eu l’impression qu’ils étaient absolument sans intérêt. Ceci dit, pas mal de filles aussi étaient sans intérêt ! Il y a toujours eu des gens avec qui je n’avais rien en commun, pas de conversation possible. Mais pendant une période, je supportais quand même un peu mieux les filles vides que les mecs creux.

Ensuite je me suis rassurée en me disant –et Chantal et moi en avons beaucoup parlé- que ça n’avait rien à voir avec le sexe. C’est plutôt une question d’affinités, de points communs, ou de manière de réagir. Les filles sont en général plus délicates, et pour quelqu’un de sensible, c’est tout de même plus agréable…

Finalement ma relation avec Chantal m’a permis de mieux vivre mes relations avec les autres, en les dépassionnant. Grâce à elle, à sa façon d’être autant qu’à son analyse et à sa maturité, j’ai mieux compris autrui ; j’ai été moins exigeante, parce qu’elle-même l’est moins ; déjà, elle ne l’est pas avec moi, elle l’est moins même que je ne l’étais, et en fait ce n’est pas une faiblesse, au contraire, c’est du bien-être.

Je crois que, quand je l’ai rencontrée, quand je me suis intéressée à elle –car on peut finalement dire les choses comme ça- j’étais encore un peu ado, même si j’étais autonome et que j’approchais de la trentaine. Il me manquait la compréhension d’autrui, une sorte de tolérance et d’ouverture qu’elle m’a apprises, et qui débouchent sur une meilleure acceptation de moi-même. Le simple fait d’avoir pu entrer dans cette relation avec elle est la preuve de cette acceptation de moi-même que je cherchais, indépendamment de tout critère.

C’est principalement ce que Chantal m’a appris, cette indépendance d’esprit ; jusque là je me croyais rebelle parce que je tenais de grands discours contestataires et que je fréquentais des gens un peu en marge ; mais Chantal m’a fait comprendre que la norme, et sa subversion, sont d’abord dans nos esprits ; ma relation particulière avec elle m’a appris à sortir des schémas pré-établis, à me faire ma propre opinion. Ce qui n’est pas toujours facile ; je ne savais pas tellement relativiser. Et quand j’ai compris ce à quoi elle m’invitait, j’ai adhéré avec tellement d’enthousiasme qu’elle a eu peur d’avoir trop d’influence sur moi…

En même temps que la relativité, j’ai appris avec elle la sérénité. Maintenant on peut dire qu’on vit une relation stable, et sécurisante, au moins au niveau affectif. On a aussi beaucoup réfléchi au problème de la jalousie. Je ne pouvais pas lui cacher ma souffrance de la voir repartir, sachant qu’elle allait retrouver Boris. Chantal ne s’est jamais justifiée sur ses relations avec Boris, et je ne le lui demandais pas. Par contre j’ai fini par comprendre que ce qui me faisait mal, c’était d’être seule, après avoir vécu des heures d’intimité tendre, parfois intense ; sa relation avec Boris n’avait pas de rôle réel dans ce sentiment. Et Chantal m’a incitée à « l’oublier », à me distraire, un peu comme je le faisais avant, en voyant du monde, en sortant. Il paraît même que d’une certaine manière, c’était elle qui, du coup, s’était parfois sentie triste à l’idée que je m’amusais sans elle. A vrai dire je ne m’amusais pas vraiment, puisqu’elle me manquait toujours, mais je me forçais à penser à autre chose. Comme elle me disait : « Ce n’est pas moi que tu oublies ; tu oublies juste d’être triste. » Et elle m’a dit qu’elle en faisait autant, dans différentes circonstances : quand quelque chose lui faisait mal et qu’elle le pouvait rien y changer, elle s’interdisait simplement d’y penser. Elle m’a dit alors « j’ai une sacrée faculté d’oubli » ; je commence à comprendre de mieux en mieux d’où lui vient cette apparente et constante légèreté –et cette force. C’est vrai, parmi les copains tous ont « leur jour », leurs humeurs. Mais pas Chantal ; si on l’a vite associée à nos fêtes, c’est qu’elle est toujours de bonne compagnie.

Ceci dit, je commence quand même à en avoir assez de cette relation cachée. Je trouve qu’on n’a aucune raison d’en avoir honte, ni elle ni moi, et j’ai envie que tout le monde, ou au moins les gens que j’aime et qui me sont proches, soit au courant, sache ce que je vis, ce que nous vivons.

Déjà, je l’ai présentée à mes parents ; rien d’officiel, bien sûr, mais à l’occasion d’une de leurs visites, elle était là –elle était prévenue, bien sûr, et d’accord. Elle s’est bien entendue avec eux deux, et ça m’a fait plaisir. Ma mère m’a même dit « C’est quelqu’un de bien, arrange-toi pour la garder. » On a beaucoup glosé là-dessus. Je connais trop ma mère pour m’imaginer qu’elle a compris, mais Chantal n’est pas de cet avis. Moi je pense que ma mère faisait allusion aux « mauvaises fréquentations » que j’ai eues ado, et même à mon ex ; il y a une série d’anciens copains qu’elle n’appréciait pas, et dont elle est bien contente que je me sois séparée. Et puis elle a apprécié les qualités de Chantal, elle a pu juger ce que sa fréquentation m’apportait ; c’est vrai qu’elle m’a apporté beaucoup, et que grâce à elle je suis mieux dans ma peau. Le seul truc qui me dérange encore c’est, justement, que ce soit caché.

Et puis, avec les copains c’est un peu pareil. Parmi eux, il y a de vrais amis, que Chantal apprécie aussi, et je suis sûre qu’ils comprendraient et respecteraient notre relation. Mais Chantal n’est pas de cet avis, et Stef non plus ; il me dit d’être prudente, qu’on est parfois surpris par les réactions des gens. J’imagine qu’il en sait quelque chose, mais quand même, c’est très frustrant ; on a l’impression d’être coupable, alors qu’on ne fait rien de mal.

Chantal ne le vit pas comme ça ; au contraire, ça l’amuse assez, apparemment. Elle n’aime pas mentir, mais elle est joueuse. Quelquefois avec les autres on se trouve dans des situations un peu paradoxales ou décalées, et on en rigole beaucoup. Elle sait apprécier mes traits d’esprit, les allusions que nous seules pouvons comprendre, comme j’apprécie les siennes. Mais ça s’arrête là, dans le jeu. Quand je m’approche d’une révélation plus sérieuse, elle trouve toujours moyen de m’arrêter.

N’empêche que je m’en approche, petit à petit ; je pense que je finirai par l’habituer à l’idée. Même on a déjà parlé de vivre ensemble, officiellement. On pourrait très bien dire qu’elle quitte Boris et que je la dépanne, sur le mode « colocation » comme je l’ai déjà fait. A vrai dire, je pense que tout le monde comprendrait assez vite ce qui se joue réellement : comme j’aime recevoir et que je ne cache aucun endroit de mon appartement, tout le monde finirait par se rendre compte qu’on partage le même lit, et ce serait fait sans même avoir à dire quoi que ce soit…

Déjà, j’ai lancé des pistes ; Mélanie n’a pas manqué de tilter quand j’ai remplacé mon lit de jeune fille, ramené chez mes parents, par un lit deux places. Elle m’a dit « Ah ça y est, tu te décides ? », sous-entendu, je me rendais plus disponible pour une relation amoureuse complète. Je n’ai pas dit non ; et peu de temps après, Mélanie est revenue sur la question, avec sa franchise d’après boire, genre : « En fait je commence à me demander si tu ne nous caches pas ton jeu ; depuis un moment, tu as changé, tu as l’air mieux, on dirait presque que tu es amoureuse » ; et je ne l’ai pas détrompée. Du coup, elle est surexcitée, et elle n’arrête pas de me tanner pour savoir qui c’est. Ça m’amuse beaucoup, mais je ne lâche pas. L’autre fois elle a même demandé à Chantal : « Vu que vous traînez tout le temps ensemble, tu le sais peut-être, toi, qui c’est ? » Chantal a eu un sourire : « J’ai une petite idée.» Du coup Mélanie s’est mise à la harceler encore plus que moi, et Chantal a lancé « Mais si c’est bien la personne à qui je pense, c’est quelqu’un de très discret, qui tient au secret… » ça c’était un message pour moi, et je l’ai bien pris comme tel. Ensuite, petit à petit, Mélanie s’est calmée ; elle pose des questions moins directes, elle fait mine de blaguer avec détachement, mais je sais que je suis en observation…et je ne craquerai pas tant que je n’aurai pas le plein accord de Chantal. Elle ne veut pas gâcher ma vie –c’est comme ça qu’elle s’est exprimée-, je ne veux pas briser la sienne. Mais je ne désespère pas de la faire changer d’avis.

Ce serait tellement bien de vivre ensemble, au grand jour…
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MessageSujet: Re: Franchir le pas - Alea   Franchir le pas - Alea Icon_minitimeMer 30 Juil 2014 - 20:46


Chapitre 10


Et ben voilà, la tuile. La catastrophe. La fin du monde.

Je me disais bien que ça ne pouvait pas durer comme ça… L. était de plus en plus amoureuse, attachante, enthousiaste et pressante ; et moi, j’étais sur le point de craquer. Je veux dire, de lui céder. De m’installer avec elle et de vivre notre histoire au grand jour. Je sais que Boris aurait compris. Boris est prêt à me laisser vivre mes expériences, peut-être précisément parce que j’ai le même écart d’âge avec lui, que moi avec L…. Tiens d’ailleurs on est tous les trois du même signe astrologique chinois. Mais je m’égare. Toujours mes vieilles manies de fuir les soucis dans le dérisoire…

En tout cas, ce n’est pas Boris qui me retenait ; il a toujours voulu me laisser vivre absolument, même si on doit se séparer, pour un temps ou pour la vie –et c’est aussi pour ça que je l’aime. Moi je ne suis pas aussi compréhensive avec lui et il le sait. Peu importe ; ce qui me retenait, c’était le crainte de gâcher la vie de L. en la compromettant définitivement. Contrairement à ce qu’elle imagine, ce n’est pas facile d’assumer, au quotidien, une histoire hors normes ; à la longue, c’est même usant, et les histoires les plus belles virent au sordide. Je pensais qu’on y échapperait mieux en restant dans le secret. Je pensais aussi qu’elle finirait par rencontrer un bon gars avec qui faire sa vie et que je m’effacerais doucement –aussi douloureux que cela puisse être pour moi. J’étais prête à l’y aider, à la conseiller, à écouter ses confidences, ses peines de cœur, comme une amie véritable. Enfin c’est comme ça que je voyais évoluer les choses, raisonnablement. Mais L. n’acceptait pas cette vision, elle m’en voulait presque. Je comprends très bien sa réaction, d’ailleurs. Et parfois, je me laissais gagner par son enthousiasme, je me faisais presque convaincre…

Et puis voilà ; la bifurcation m’a rattrapée sans me laisser le choix. Contre toute attente, j’ai obtenu un poste à 800 km, un poste que je demande depuis des années, sans plus y croire. J’avais même oublié que j’avais refait ma demande cette année… Et pour ce poste, il est indispensable que ce soit Boris qui m’accompagne ; c’est un poste double, le second dans ses compétences à lui, pas dans le domaine de L. Sinon, c’était l’occasion ou jamais d’essayer ensemble, et je crois que j’aurais franchi le pas pour de bon. Mais là, c’est impossible : Le 2° poste est pour mon conjoint légitime et légal –logique, après tout… Et nous voilà au pied du mur.

On me propose une nouvelle vie, dont j’ai toujours rêvé, que j’ai cru ne jamais obtenir. J’ai toujours su que cela m’obligerait à m’éloigner de ceux que j’aime –ma famille, en particulier, et j’en acceptais l’idée. Mais je n’avais pas fait entrer en ligne de compte ma relation avec L. La dernière fois que j’avais fait cette demande de poste, j’en étais encore à éviter de danser avec elle…

Quand j’ai reçu le courrier, j’ai été un moment abasourdie, sonnée. Boris l’a vu tout de suite ; il m’a demandé ce qui se passait. Je lui ai simplement dit que j’avais enfin obtenu ce poste dont j’avais rêvé des années durant, et je crois que je lui ai lancé un regard de détresse. A ce moment-là j’ai compris à ses yeux qu’il savait tout depuis le début. Il m’a prise dans ses bras et m’a réconfortée avec des généralités. « Calme-toi, réfléchis-y à tête reposée ; je sais que c’est pas facile pour toi, un bouleversement pareil… Prends le temps d’y penser, ne t’emballe pas. » Il m’a fait beaucoup de bien. Mais malgré tout, j’étais hors de moi.

Je me souviendrai toujours du moment où je le l’ai dit à L. J’avais reçu le courrier depuis deux jours déjà, et pour la première fois de notre relation, j’avais fait « la morte » : je laissais mon portable éteint, je ne répondais plus au téléphone –sauf pour mes parents- et je ne me connectais plus ; j’aurais pu avoir la délicatesse de jouer la comédie, pour lui éviter de s’inquiéter, mais je n’en ai pas eu le courage. Pendant deux jours je n’ai pas dormi, et le troisième j’ai rallumé mon portable ; L. y avait laissé une dizaine de messages, surpris, puis inquiets. Je lui ai annoncé ma visite, en précisant : « ça va mal ; il faut que je te parle. » Je préférais l’avertir. Aussi m’a-t-elle reçue avec un regard pour le moins interrogateur ; pour ma part, je n’étais pas fière… Je lui ai expliqué la situation en quelques mots, sans la regarder ; d’un coup, j’ai vu son visage se décomposer, quand elle a clairement compris l’enjeu. Elle m’a dit « Tu vas y aller ?» et j’ai répondu, avec un air accablé, que je ne savais pas. Ce qui était vrai. J’étais dans la déroute la plus complète.

Je connais de L. aussi bien son impulsivité que sa pudeur extrême, qui lui donne une apparente froideur très dure dans les situations difficiles ; son premier mouvement est allé vers une véritable scène : colère homérique, séquelle de récriminations et de reproches accompagnées de larmes ; je l’ai vue bouillir, rougir, serrer les poings. J’aurais sûrement préféré ça, au moins j’aurais pu lui répondre ; mais elle s’est contenue, raidie, et j’ai senti venir une mise à la porte brutale, peut-être définitive –quitte à s’effondrer après. J’ai aussitôt anticipé :

« -Ecoute, je sais tout ce que tu peux me dire, ça fait deux jours que je ne pense qu’à ça et que je n’en dors plus. Ne me dis rien sous l’émotion ; prends le temps d’y réfléchir, toi aussi. Il faut qu’on en parle, mais la tête froide. S’il te plaît, ne bloque pas tout… Je peux rester avec toi maintenant si tu veux, je peux partir et te laisser seule, je ferai ce que tu me diras. Mais ne te laisse pas aller à la colère, je t’en supplie. »

L. m’a regardée ; j’ai lu dans ses yeux tout ce qui se combattait ; je me suis avancée vers elle, je l’ai prise dans mes bras ; après un temps d’hésitation, elle a posé sa tête sur mon épaule. Cela a duré très longtemps. Puis elle a relevé la tête, s’est écartée de moi et m’a dit :

-Va-t’en maintenant.

-Tu me recontacteras ?

Elle a hoché la tête, faiblement. J’ai décidé que c’était un oui, et je suis partie en disant que je l’appellerais le lendemain. Pour quelqu’un qui ne voulais que lui faire du bien, je me sentais vraiment très mal. Mais il était nécessaire que je lui dise tout au plus vite.

Le lendemain, je craignais de ne pas parvenir à la joindre, mais elle a décroché. J’admire toujours cette droiture, cette capacité à assumer. Au téléphone sa voix était absente, mais sans hostilité ; notre échange fut très bref mais suffisant pour me rassurer. En revanche elle disait qu’elle n’était pas encore prête à me revoir.

Cela a duré encore plusieurs jours, durant lesquels je l’appelais tous les soirs, et où elle me faisait la même réponse. Rapidement, j’ai commencé à éprouver un manque douloureux : d’elle, de sa présence, de sa voix. C’était peut-être une façon de me faire sentir à quel point ce serait dur, si j’acceptais le poste. Je n’avais toujours pris aucune décision ; je savais que, de toutes façons, ma vie allait basculer : si je partais, toute la confiance et le bien-être que je lui avais apportés étaient annihilés : il ne resterait qu’une jeune femme seule et profondément blessée, une femme à qui j’avais voulu prouver qu’on peut s’abandonner à la confiance sans jamais être trahie, et que j’aurais, précisément, cruellement trahie. La connaissant, je savais qu’elle garderait des séquelles indélébiles de cette relation, surtout avec cette fin traumatisante; peut-être même qu’elle ne se remettrait jamais en couple ; quant à moi, je devrais vivre, loin d’elle, et avec ce poids sur la conscience.

Mais si je restais, en dehors du fait que je ratais une occasion professionnelle inespérée, et qui ne se reproduirait pas, je m’engageais définitivement avec elle, avec toutes les conséquences que cela impliquait, notamment par rapport à notre vie sociale – ceci dit, j’y étais prête, le problème majeur n’était pas là. Il y avait aussi la question de l’âge, cause de ma prudence, depuis le début : pouvait-on tout sacrifier à une relation alors que, dans dix ans, la ménopause me guettait , au moment où elle-même serait, comme moi aujourd’hui, dans la force de l’âge ? Enfin ce qui serait le plus difficile à gérer, réellement, c’était la culpabilité associée à ce qui serait ressenti comme un sacrifice de ma part, pour elle. Les années s’écoulant, la relation évoluant, je pourrais finir par lui en tenir rigueur –même si aujourd’hui je me jurais que non –il faut rester lucide au-delà des bons sentiments. Et surtout elle-même pourrait se sentir prisonnière de cette relation, comme redevable envers moi du sacrifice que je lui aurais fait ; et des relations saines n’étaient pas envisageables dans de telles conditions. En d’autres termes, d’une manière ou d’une autre, je la perdais. On pouvait encore essayer de transiger, de promettre qu’on se reverrait, qu’elle me rejoindrait, mais sa propre évolution professionnelle restait aléatoire, et pendant des mois, peut-être des années, il faudrait se voir en pointillés, pendant les vacances… Cela aussi, c’était la perdre ; ne plus connaître ses amis, ne plus partager sa vie, ses nuits, au moins deux fois par semaine, ses soucis, ne plus suivre ses humeurs, ses changements, ses tocades, ne plus l’entendre rire…

Voilà, j’étais –nous étions- à la croisée des chemins. L. a finalement accepté de me revoir, pour convenir avec moi, sans violence, sans conflit, avec au contraire beaucoup de justesse, et aussi une peine profonde, de tout ce à quoi j’avais moi-même réfléchi… Elle avait décidé de me laisser la responsabilité entière de la décision, ce qui était juste, puisque c’est moi qui avais fait l’erreur, m’engageant inconsidérément dans cette relation très forte, sans réfléchir à mes autres engagements éventuels – et dont nous souffrions à présent…

Qu’auriez-vous décidé à ma place ?

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