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 Thérapie mortelle - HannahP22

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HannahP22 ThiaudièreSarah




Féminin
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A écrit : Thérapie Mortelle, Ya Soshla S Uma, The Imaginary Games
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MessageSujet: Thérapie mortelle - HannahP22   Thérapie mortelle - HannahP22 Icon_minitimeDim 9 Aoû 2015 - 13:17

Pseudo de l'auteur : HannahP22

Nombre de chapitres : 1

Dans le cas d'une fanfiction, le nom du couple principal :

Rating de l'histoire : G
Genre de l'histoire : Romance, Drame

Résumé de l'histoire : Une thérapeute s'entretient avec une meurtrière condamnée à ma mort.



Terminée et Corrigée
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YulVolk
Admin
YulVolk


Féminin
Nombre de messages : 2514
Age : 45
Date d'inscription : 20/05/2007

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MessageSujet: Re: Thérapie mortelle - HannahP22   Thérapie mortelle - HannahP22 Icon_minitimeVen 14 Aoû 2015 - 21:22

- J’ai tué. J’ai massacré. J’ai pulvérisé. Et à présent je suis condamnée à mort. C’est juste quand on y pense. Mais vous savez ce qui ne l’est pas ? M’obliger à suivre une thérapie afin que vous puissiez cerner mon profil psychologique et débiter par la suite des conclusions hasardeuses sur les quelques causes de ma soi-disant maladie. Je vais être exécutée dans une semaine ; croyez-bien que je songerai davantage à rester enfermée dans ma cellule à revivre sauvagement mes moments de gloire, au lieu de me retrouver en face d’une jeune femme fascinée par la mort et ses mystères. C’est d’un ennui ! Pardonnez-moi, je m’emporte. Sûrement êtes-vous une brillante experte du cerveau humain, seulement la perspective de me savoir contrainte à parler de mes meurtres, ne m’enchante guère. Me tuer est une chose, après tout il fallait bien que cela cesse, en revanche je hais la parole vaine. J’ai tué. J’ai massacré. J’ai pulvérisé. Je n’ai rien d’autre à ajouter.

La jeune meurtrière se tut sans toutefois baisser le regard, et commença à jouer avec ses menottes, prenant soin de faire le plus de bruit possible.

- C’est beau, n’est-ce pas ? s’exclama-t-elle en souriant à son interlocutrice. J’ai du mal à croire qu’il y ait des Hommes qui n’aient jamais connu le son de la Liberté. C’est triste. Si je pouvais, je le leur ferai écouter afin qu’ils me jalousent d’avoir commis le Crime. Ils ne connaissent pas la vie ; ils mourront étouffer d’avoir trop bien vécu. Je les plains. Je vous plains. Vous êtes jeune, belle, mais vos traits sont déjà lasses d’un quotidien agaçant.
- Vous allez mourir.

La voix de la jeune psychiatre résonna dans la pièce avant de s’éteindre dans un long silence glacial. Elle regretta de suite son manque de sang-froid et de professionnalisme. Sans en connaître la raison, cette jeune femme l’intriguait.

- Oui je vais mourir, je crois bien que c’est la finalité de la vie, ricana la meurtrière en tournant lentement la tête vers la fenêtre, donnant sur la cour de la prison. Vous n’imaginez pas ma joie de crever ici, d’y laisser ma trace. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai choisi la chaise électrique comme exécution. Ainsi lorsque ma chair grillera, vous en sentirez toute la pourriture et vous entendrez alors le calme pesant de la souffrance. Croyez-moi : je ne crierai pas, je ne vous en laisserai pas ce plaisir : vous découvrirez le silence de la mort.
- Vous avez enfermé, violé, torturé et assassiné de nombreuses femmes, déclara la psychiatre après un temps. Vous avez même tué votre voisin lorsqu’il a découvert vos macabres pratiques, juste après qu’il ait appelé la police.
- C’est ce dont j’ai été accusée en effet. « La lesbienne psychopathe » c’est accrocheur, n’est-ce pas ?

- Vous tentez d’en rire mais je vois bien que vous y avez souvent réfléchi.

- Tout meurtrier se doit de penser à son nom de scène chère madame, ironisa-t-elle en s’inclinant gauchement.

- Vous ne m’aiderez vraiment pas ?

- Je n’ai jamais aidé que la Mort. Or je ne peux pas vous tuer, s’exclama t-elle en haussant les épaules. C’est dommage car vous êtes terriblement à mon goût…

La meurtrière fit mine de se lécher les lèvres et la jeune femme ne put s’empêcher de la trouver incroyablement séduisante. Etrangement, elle ne parvenait pas à déceler chez elle des troubles mentaux quelconques, ni même une folie consciente. Elle semblait saine et c’était bien cela qui l’effrayait.
- Je ne peux pas vous forcez à parler. J’irai après le déjeuner avertir le directeur que tout ceci est inutile.
- Vous ne le ferez pas, la coupa la meurtrière rapidement. Je connais ce regard : mon cas vous intéresse. Peut-être pourrai-je même finir par apprécier nos petites séances…

Elle se leva et se dirigea vers la porte où un garde l’attendait, matraque en main. Elle se retourna à la dernière seconde et s’exclama d’un sourire joviale :

- Bon appétit et à tout à l’heure !

*

La salle était petite, noire. Aucune lumière ne jaillissait des murs clos et la thérapeute pouvait entendre le souffle saccadé et lent de la jeune meurtrière. Elles étaient assises l’une en face de l’autre ; leurs pieds se touchaient afin que la thérapeute sache si la criminelle tentait de se lever pour venir l’étrangler.


- J’ai encore mal digéré ; j’ai mal au ventre. La nourriture en prison n’est pas très bonne et puis lorsque l’on est dans le couloir de la mort, je dois bien avouer que l’on se fiche de savoir ou non si l’on mange bien. Mais j’ai tout de même mal au ventre et cela m’ennuie. Je ne devrais pas ; mon organisme a déjà ingéré pire. Alors pourquoi suis-je si sensible à cette étrange nourriture ? Ne me dites pas que c’est la culpabilité qui sort de mon plateau repas ! Je ne me sens pas coupable, ni même triste pour mes victimes. Il vaut mieux être sous terre que sur terre. Bientôt j’irai les rejoindre et mon véritable procès commencera.
- Vous croyez en la vie après la mort ?

La meurtrière prit un temps pour réfléchir comme si la question demandait une réponse précise et habile mais se ravisa, lâchant un « Non » tranché, puis continua sur autre sujet :

- J’apprécie cette mise en scène vous savez. Me faire subir ce que mes victimes ont subi. Le noir, la petite pièce… C’est drôle mais moi cela m’apaise. J’aurai seulement préféré être seule. Ne le prenez pas mal mais vous m’agacez ; votre beauté me calmait mais là c’est juste dérangeant. Même ma cellule est plus confortable ! Et puis au moins là-bas j’ai tout le loisir de penser à vous… C’est étrange : lorsque je suis loin de vous, j’ai hâte que les heures tournent pour vous rejoindre mais lorsque vous êtes présente vous m’ennuyez fortement. Amusant, n’est-ce pas ?

- Je ne vous oblige en rien à rester, vous pouvez partir quand cela vous chante, rétorqua calmement la thérapeute. Mais ne me mentez pas ; vous appréciez ma compagnie. Je vous rends vivante, grâce à moi vous n’êtes plus seule. Je suis la dernière personne à qui vous pouvez vous livrer avant de mourir ; c’est un privilège incroyable que l’on ne fait qu’aux prisonniers les plus fous.

- Vous êtes à l’évidence bien jeune pour ce métier. Vous ne cessez de répondre à la provocation du patient. Je ne suis pas folle vous le savez autant que moi. Et cela vous agace comme tous les autres. Vous auriez voulu déceler en moi un signe pathologique afin de vous rassurer mais je ne suis pas malade. C’est justement pour cela que l’on vous a accordé ce « privilège ». Je vous intrigue manifestement ; sinon on ne vous aurez pas laissé seule avec une tueuse, sans menottes ni même caméra pour me surveiller. Je pourrais vous tuer mais cela ne serait pas utile. Un fou vous aurez déjà tué mais je ne suis pas ainsi : je ne tue pas pour le sang.

- Aidez-moi : pourquoi tuez-vous ? demanda la jeune thérapeute d’une voix plus douce qu’elle ne l’aurait voulu.

- C’est vous le médecin ! répliqua t-elle en riant gravement. C’est à vous de le découvrir. Alors dîtes-moi ce que vous souhaitez connaître sur la terrible tueuse de Californie ?
 

*

- J’ai vécu une enfance simple je pense. Je dis « je pense » parce que la définition de simple est relative. Je n’ai jamais eu de chien ou encore de maison avec une belle palissade blanche mais je n’ai jamais été malheureuse. Ma famille était respectée, aimante et je crois que je l’aimais aussi. J’avais deux sœurs et un frère plus âgé. Je ne les vois plus ; ils sont sûrement morts. Mes parents tenaient un café plus bas dans la ville, souvent je venais les rejoindre après l’école et ils m’offraient le goûter. Ils me laissaient même parfois ramener des amis. Qu’est-ce que je raconte ? Je n’ai jamais eu d’amis. Je préférais lire je l’avoue. L’école m’ennuyait alors je lisais et je me faisais disputer. Je devais rester dans ma chambre et ne pas en sortir du week-end. Cela m’a forgée. Ne pas manger, pisser ou déféquer dans un pot près de mon lit… Je me rappelle que l’odeur me donnait souvent des nausées ce qui, bien-sûr, était pire après.

- Vous le viviez comment ? Trouviez-vous ça juste ce que l’on vous infligeait ?

- Je ne pensais rien vu que je ne l’ai jamais vécu, s’esclaffa la jolie meurtrière d’un rire puissant. Je me moque de vous, excusez-moi. C’était très tentant. Apprenez que tous les meurtriers n’ont pas eu une enfance traumatisante. J’en fais partie. Je me faisais bien disputer mais pas ainsi. J’ai été une enfant calme et heureuse. Je partais en vacances, je mangeais bien, je jouais avec mes sœurs : c’était bien. Après le lycée je suis partie rejoindre mon frère, je ne voulais pas travailler au café. J’ai étudié la psychologie mais cela ne me plaisait pas. L’Homme est un être vraiment trop absurde. Alors j’ai bifurqué en droit. J’ai eu ma licence avec mention mais je n’ai pas souhaité continuer. Mon frère m’a embauchée et j’ai pu commencer ma vie active. Je n’étais plus heureuse.

- Vous avez alors rencontré votre première victime là-bas ? questionna la thérapeute en se redressant.

- C’est exact. J’y ai rencontré Elena. Elle était belle. Vous l’auriez vue ! Elle vous ressemblait un peu. J’ai toute suite craqué et elle aussi. On a vécu trois mois ensemble puis un matin, je l’ai vue nue sur le canapé et je me suis dit qu’il serait bête de ne pas immortaliser cette chair. Alors je l’ai entraînée dans sa chambre, je l’ai bâillonnée et ligotée puis je l’ai allongée sur le lit. J’ai éteint la lumière avant de fermer la porte à clef. J’y suis revenue le soir pour la nourrir, et je lui ai fait l’amour assez chaudement. Comme c’était assez violent j’ai du lui faire mal par mégarde.

- Vous êtes en train de me dire que vous ne l’avez ni violée ni torturée ?

- Je joue sur les mots c’est vrai, ria la meurtrière en souriant. C’est pour me rendre plus sympathique auprès de vous.

- Pourquoi riez-vous toujours ? s’écria la thérapeute qui semblait perdre patience de minute en minute. Cela vous amuse de tourner au ridicule toutes vos actions ?

- « Le rire est le propre de l’Homme », selon la tournure de Monsieur Rabelais. Je ne suis pas du genre à me moquer des Génies. Et puis il faut bien en rire, sinon ce que j’ai fait n’aura servi à rien. Elena était une gentille fille et je l’ai tuée après deux mois d’enfermement. C’est assez drôle parce qu’à la fin je ne fermais même plus la porte ; elle aurait pu partir, je ne l’aurai pas retenue.

- Cela vous procurait quoi ? La voir souffrir ainsi ?

- Je la trouvais stupide. Vous savez si les victimes n’avaient pas si peur pour leur vie, elles comprendraient qu’il faut jouer l’indifférence et ne pas se positionner en temps que victime. Alors les tueurs se lasseraient et iraient choisir quelqu’un d’autre. Cela pourrait abréger leurs souffrances et parfois même, dans certains cas, leur sauver la vie.

La thérapeute était abasourdie par les propos de la jeune femme. Elle se racla la gorge avant de relancer le dialogue.


- Avez-vous une idée d’où peuvent provenir vos pulsions meurtrières ?

- De mon côté humain je suppose… Plus sérieusement, je ne sais pas. Je ne crois pas que l’on soit prédestiné à la tuerie. C’est à la fois une chance et une malédiction. Tuer rend vivant d’une manière horrible mais aussi très belle. Quelqu’un qui n’a jamais vu le sang coulé sur ses mains ne pourra jamais prétendre comprendre le monde. Ce n’est pas beau mais on se sent libre, fort et ridicule à la fois. Tuer c’est toute la vie en un geste.

La meurtrière attrapa alors la main de la psychiatre et lui demanda d’une voix apaisante :

- La trouvez-vous différente d’une autre ? Non vous ne percevez pas la différence, vous trouvez même le contact agréable. Je le sens. D’ailleurs vous ne la lâcherez pas. Je pourrais caresser la vôtre et même vous l’embrasser ; vous aimerez parce que vous ne voyez aucune différence. C’est humain après tout.

Sans décaler sa main, la psychiatre étudia celle de son interlocutrice du bout du doigt avec attention. Il était vrai qu’elle ressemblait à n’importe quelle autre. Elle était même très douce et très fine. Pas une main de tueuse.

- Pourquoi tuer celle que vous aimez ? interrogea cette dernière tout en continuant de palper la paume de la jeune femme.

- Je crois que l’amour et la mort ne peuvent être séparés. Lorsque l’on aime une personne profondément, on souhaite secrètement sa mort afin qu’elle ne puisse jamais nous échapper. On veut avoir tout pouvoir sur elle. C’est terriblement égoïste j’en conviens, mais c’est tout de même plus honorable que celui qui tue des inconnus simplement par goût de carnage. Je serai pourtant exécutée au même titre. J’espère que vous y assisterez, cela me ferait plaisir. Après tout, vous serez certainement la dernière jolie femme que j’aurai vue…

La thérapeute haussa les sourcils à l’écoute de ces mots et bien que ce fût contraire aux règles de la thérapie, demanda lentement :

- M’auriez-vous tuée ?

- Je peux encore vous savez. Alors ne m’en donnez pas les raisons. Il serait bête de devenir ma dernière victime. Surtout que je commence sincèrement à apprécier nos discussions.

La meurtrière lâcha la main de la jeune femme et se mit à siffler en attendant la question suivante.

*
- Que préfériez-vous chez Elena ?

- Ses seins ! s’écria la jeune femme en plaçant ses mains derrière sa tête. Je rigole bien-sûr. J’aimais Elena pour sa franchise. C’est ce que j’aime habituellement chez une femme. Je déteste celles qui ne disent pas ce qu’elles ont en tête ; ça m’énerve. Je trouve cela grossier et hypocrite. Avant de tuer mes amantes, je leur ai parlé, expliqué mes raisons, et je leur ai décrit leur mort avec le plus de précisions possibles. Je ne voulais pas qu’il y ait de surprise ou autre. J’ai été honnête. Parfois quelques tueurs maintiennent l’espoir de leur victime pour mieux apprécier leur meurtre mais je juge cela dégradant.

- Pourriez-vous me raconter votre rencontre ?

- Je l’ai rencontrée dans le magasin de mon frère. C’était une cliente et elle m’a abordée. Une rencontre banale pour tout vous dire.

- Méritait-elle de mourir ?

- Personne ne mérite de mourir, répondit-elle froidement. C’est bien pour cela que je suis ici. Je connais la valeur de la vie humaine contrairement à ce que vous pouvez penser. Je ne suis pas mentalement perturbée. J’ai conscience que tuer est un acte atroce et je suis bien heureuse que l’on mette fin à mes jours. Je rêve de ma mort depuis toujours mais le suicide m’est interdit. Se tuer serait empêcher la justice de faire son travail. Alors j’ai attendu que l’on vienne me chercher. En deux ans, j’ai tué dix femmes mais j’aurai pu en tuer davantage. Je ne perdrai pas mon temps à vous parler de mes victimes. Elles étaient toutes pareilles et sont toutes mortes de la même manière. Je ne fais pas de différence. La mort ne devrait pas en faire.

La psychiatre fit grincer sa chaise en se levant et alluma la lumière sans dire un mot. Elle revient s’asseoir en face de la jeune femme avant de lui tendre un carnet et un crayon.

- Je voudrais que vous me rédigiez en détail le meurtre de votre choix.

- Je ne veux pas qu’il y ait de trace écrite, fit-elle en jetant les objets au sol. Je vais vous le raconter. De plus, je suis plus à l’aise à l’oral. L’écrit me rend nerveuse ; j’ai l’impression que mes mots ne font plus sens comme s’ils ne m’appartenaient plus. C’est agaçant.

La jeune meurtrière se leva promptement mais la thérapeute ne bougea pas. Elle l’observait faire le tour de la pièce en respirant bruyamment. Il était certain qu’elle se questionnait sur le meurtre à raconter. Au bout d’une dizaine de minutes, elle s’arrêta derrière la psychiatre et s’exclama d’une voix posée :

- Mon procédé ne changeait jamais mais le comportement de la victime peut varier. C’est normal. Le plus souvent, elles se débattaient au début puis acceptaient leur sort en prenant parfois même du plaisir. Cependant, l’une d’entre elles n’a jamais cessé de me résister. Il est possible que ses plaies aient été plus profondes que celles des autres je le reconnais mais mon intention n’était aucunement de la faire souffrir davantage. J’avais du mal à maîtriser mes coups de couteau. Au lieu de la blesser superficiellement, je l’entaillais gravement. Ainsi, elle est morte plus rapidement que les autres et c’est certainement mon seul regret. Je n’ai jamais rien fait avec leur dépouille et je ne leur faisais jamais des choses qui étaient contre leurs pratiques sexuelles habituelles. Je respectais leur souhait ; souvent elles ne mourraient pas de mes coups mais de manque de lumière et d’activité physique puisque jamais je ne les autorisais à marcher à part pour aller aux toilettes. Je ne vois pas quoi vous décrire d’autre. Aucun meurtre n’a été différent au point de vous en faire la narration complète.

- Que faisiez-vous de leurs cadavres ?

- Je les habillais et j’allais les enterrer la nuit.

- Bien, s’exclama la thérapeute en se levant. Je crois qu’on va s’arrêter là pour aujourd’hui. Je vous verrai demain à 8 heures.

*

- Je ne croyais pas qu’ils accepteraient de me laisser me promener avec vous dans la cour. D’habitude, ils ne sont pas si gentils. Je suppose que vous avez usé de vos charmes pour acquérir ce droit… Ne froncez pas les sourcils ainsi, ça vous vieillit. Je plaisante. Au début je vous prenais pour une coincée mais vous m’amusez drôlement ; vous rendez mes derniers instants viables. J’aime le matin, pas vous ? On dirait que tout est neuf, pas encore souillé par les Hommes. Et puis tout est calme ; ce n’est pas comme le soir où le bruit assaille nos oreilles et nous pousse à commettre le Crime. Etre mauvais le matin, je trouve ça inhumain. Tuer un homme avant qu’il ait eu la chance d’avaler son petit-déjeuner… Faut vraiment être un sacré salaud ou bien une grosse pute. Pardonnez mon langage. Je ne suis plus à une injure près. Le plus ironique c’est que je serais exécutée tôt le matin. Leur dernier repas, ils pourront s’amuser à le nettoyer par terre car je n’en avalerai pas une miette. J’ai toujours trouvé cette tradition idiote parce qu’il en faut bien un dernier de toute manière. Ils pensent que cela nous affecte de songer à nos derniers actes mais en vérité, c’est assez rassurant. Quand je vois tous ces livres sur la psychologie des criminels j’ai envie de rire, car ils n’y connaissent au fond pas grand chose. J’aurai dû en écrire un, j’aurai sans doute fait fortune. Excusez-moi je monologue mais j’aime m’entendre parler ; ainsi je suis sure que je suis encore un peu vivante.

La thérapeute regarda la meurtrière avec attention et eut une envie folle de courir loin d’elle. Elle n’arrivait pas à maintenir son professionnalisme ; ce personnage la fascinait et cela lui donnait l’envie de s’enfuir le plus rapidement possible. Et pourtant elle restait suspendue à ses lèvres comme si cette dernière possédait la vérité ultime. C’était étrange mais surtout effrayant.

- Je vous ennuie, n’est-ce pas ? poursuivit la meurtrière en détournant le regard. Je suis désolée de ne pas être le prototype même du serial killer. Vous n’avez pas eu de chance si vous espériez rencontrer une erreur de la Nature car j’aurai pu aisément épargner ces femmes. Je ne ressens aucune pulsion malheureuse ; je tue parce que je m’ennuie facilement c’est tout. Alors j’ai besoin de vivre, vous saisissez ? Besoin de me prouver que je ne suis pas seule à me poser des putains de questions. Je ne sais pas pourquoi je vous embête avec mes pensées ; vous pourriez avancer mon exécution. Non vous ne pourriez pas mais cela m’attriste de vous ennuyer. En même temps vous ne parlez pas beaucoup pour une psychiatre ; je suppose que vous souhaitez m’entendre me confier de moi-même. C’est gentil. Je croyais que vous me sermonneriez sur mes actes atroces et me jugeriez durement mais je vois dans vos yeux que vous essayez de me comprendre. C’est touchant. Dommage que l’on n’est pas essayé plus tôt ; cela aurait pu sauver des vies. Enfin, au moins je mourrai bien et vous pourrez retrouver votre vie tranquille. On y gagne toutes les deux. On est bien là... Il fait beau, même pas chaud bien qu’on soit l’été. C’est agréable. J’aime l’été mais le printemps est plus doux. C’est une bien meilleure saison pour mourir quoique cela soit assez ironique quand on y songe. Je crois que ce qui me manquera le plus certainement après ma mort, sera le sentiment de beauté. C’est beau une femme. C’est sûrement pour ça que je la détruis. Je déconne : ça c’est une réflexion de psy. Je vous aime bien ; vous ne me faîtes pas chié. Vous m’écoutez, c’est ce qui manque à notre société. Un peu d’attention à l’autre.

La meurtrière se tut et sourit à sa thérapeute qui la scrutait avec insistance. Elle la trouvait mignonne et cela la frustrait de ne pas pouvoir la tuer.

- Je mentirai si je vous disais que je n’aimerais pas vous tuer. Vous êtes très belle ; c’est du gâchis que de vous laisser en vie. Ah ! C’était quand même pas bien difficile de m’envoyer une psychiatre moche ! Je suis désolée de m’énerver ainsi mais je ne les trouve pas très habiles. Il envoie une jolie psychiatre à une tueuse lesbienne. C’est de la provocation je pense. Enfin bientôt je n’y penserai plus.

Elle souffla bruyamment avant de s’exclamer :

- J’ai faim, pas vous ?

*

- J’aime cette pièce. On y discute bien. Vous pourriez me parler de vous aussi, ça changerait un peu. Le dialogue me conviendrait davantage bien que j’adore m’exprimer. Dîtes-moi n’importe quoi ; je ne le répéterai en aucun cas, c’est promis.

La meurtrière rit de sa blague mortifère puis se leva en direction de son interlocutrice. Elle s’accroupit en face d’elle, son visage à quelques centimètres du sien, et l’observa avec avidité.

- J’aimerai bien vous embrasser mais je ne peux pas. Je déteste connaître l’interdit, ça me frustre. Heureusement à ce stade, je n’ai plus rien à m’interdire parce que sinon je serai stupide ou alors je n’aurai rien à faire ici.  

Sur ces mots, la jeune meurtrière colla ses lèvres sur celle de la psychiatre puis après quelques secondes se recula. Elle revint s’asseoir à sa place avant de la scruter de nouveau.

- Vos lèvres ont un goût de framboise à moins que cela soit un goût de fraise. Je ne sais pas mais c’est très appréciable. Vous êtes à présent la seule amante que je n’aurai pas tuée. Soyez fière c’est grâce à vous. A moins que je décide de vous tuer malgré tout. C’est vrai que je pourrai. On est seule, enfermée dans cette pièce et je ne risque pas d’être exécutée deux fois. C’est l’avantage. Vous m’étonnez ; vous me regardez comme si je venais de vous annoncer une banalité. Vous ne reculez pas de peur. Vous croyez que je ne le ferai pas ? Vous auriez tort de le penser ; vous me plaisez beaucoup. Et puis, il vaut mieux mourir d’une main qui vous aime que de vivre sous les injures perverses de gardiens en rut. Rien que pour cette raison, je voudrais vous aider à mourir. Il est bien détestable pour moi d’entendre des commentaires douteux sur votre compte alors que votre beauté devrait être mystifiée par le sang.

La meurtrière se leva à nouveau et vint se placer derrière la psychiatre avant de placer ses mains autour de son cou. Elle le caressa d’abord puis commença doucement à serrer l’étreinte.

- Pourquoi ne criez donc vous pas ? Je vous agresse. Auriez-vous secrètement envie de mourir ? Si c’est le cas, je ne veux pas y participer. Ce serait de la complicité, or je ne partage pas le mérite.

Elle se détacha de la jeune thérapeute qui lui sourit amicalement.

- Pourquoi me défendre ? rétorqua t-elle d’un petit rire. Vous n’avez pas envie de me tuer, pas plus que vous ne souhaitez mourir. Je le sais bien. Tout ça vous terrifie car au fond vous savez que vous auriez pu éviter la mort et la dépasser encore un peu. Cette pensée vous obsède. Je parlais peu jusqu’à présent ; j’étudiais. C’est la première étape du jeu. Mais changeons de stratégie, voulez-vous ? Vous allez mourir dans cinq jours. Cinq malheureux jours. Vous pensez que mon métier est de la fumisterie et je ne peux vous en blâmer étant donné votre condition, mais avez-vous seulement songé que la psychiatrie n’était pas une vertu de la médecine contrairement à la pensée générale, mais qu’elle était en réalité liée à la simple bonne volonté du patient ? Le psychiatre ne fait qu’aider le patient à se comprendre par lui-même ; son rôle n’est pas de s’en mêler. Les médicaments ne sont là que pour rassurer en donnant une portée réelle au traitement. Croyez-moi lorsque je vous dis que vous avez bien plus accompli en deux jours que dans toute votre vie parce que pour la première fois, vous essayez car c’est tout ce à quoi vous pouvez prétendre vous raccrocher. Vous ne m’avez pas embrasser pour satisfaire un désir de mort mais seulement par volonté. Vous ne pensiez pas à me tuer, seulement à m’embrasser. Pendant un instant, vous avez dissocié les deux. Le plus beau c’est que vous l’avez perçu. Alors par peur, vous m’avez menacé de mort tout en sachant que vous ne pourriez jamais me faire du mal. Je ne crois pas que vous soyez une meurtrière comme les autres et j’espère bien pouvoir vous révéler votre véritable nature avant votre exécution.

*
- Il me faut avouer que j’ai trouvé votre intervention admirablement sexy. Passez-moi ce terme mais je n’en vois pas d’autre. Je n’ai pas l’habitude qu’une femme me parle aussi longtemps avec tant d’ardeur et ose ainsi se jouer de moi. Vous m’avez bien eu avec cet air de jeune thérapeute inexpérimentée. Je suppose que vous avez du bien vous moquer de moi. D’un autre côté, j’ai de suite pressenti que vous aviez l’esprit d’une femme pensive et réfléchie. Si je devais vous qualifiez d’un mot, je ne saurai lequel choisir tant vous égaillez en moi des idées controversées. Je me demande bien ce que vous me réservez dans le peu de séances qui nous restent. Peut-être devrions-nous cesser nos discutions inutiles ? Laissez-moi penser à ma mort et non en une guérison imaginaire.

- Je ne suis nullement ici pour vous guérir, répliqua la psychiatre durement. Je ne le pourrai pas même si nous avions eu un temps indéfini. Guérir ne s’applique pas à cette discipline. Je veux seulement que vous appreniez à vous comprendre avant que vous ne mourriez. Pour mourir paisiblement, il faut saisir les raisons qui nous ont poussées à vivre et non pas celles qui nous ont poussées à pêcher. Pourquoi avez-vous vécu ? Si vous pouvez répondre à cette question, alors mon travail avec vous est terminé. Or je sais bien que vous ne le pouvez pas. Vous n’avez pas vécu pour tuer contrairement à ce que vous vous dîtes. On ne naît pas dans le but de quelque chose. Cela serait absurde, vous ne pensez pas ?

La meurtrière baissa le regard et laissa de longues minutes s’écouler. Comme elle restait toujours silencieuse, la thérapeute fît mine de s’en aller.

- Arrêtons ce petit jeu, d’accord ? s’écria la meurtrière qui, pour la première fois, manifestait une colère atroce. Je me fiche bien de mourir paisiblement, cela ne changera aucunement la finalité. Je ne suis pas ici pour demander pardon et « sauver mon âme » ou ce genre de choses idiotes. Pourquoi j’ai vécu ? Je ne sais pas mais c’était une putain de connerie. J’ai servi la Mort et c’était un choix voulu, faute de n’avoir rien trouvé d’autre pour m’accomplir. Ne cherchons pas plus loin. Il n’y a rien d’autre à analyser dans mon comportement. J’ai tué pour vivre, c’est tout ce que j’ai à dire et cette conclusion me convient. Je ne pensais pas que vous iriez jusqu’à me mettre le feu aux joues. Je croyais que vous seriez partie d’ennui bien avant. A présent, je m’en vais et je compte bien ne plus vous revoir.

La psychiatre la retint et la prit dans ses bras. Contrairement à ce qu’elle aurait pensé, le contact ne fut pas étrange. La meurtrière n’était qu’une chair banale et chaude.

- Je ne juge pas vos crimes. Vous avez été femme avant d’être meurtrière et c’est précisément la femme qui m’intéresse. La tuerie ne vous définit pas. Je refuse de voir en vous une simple tueuse sanglante. Vous êtes autre. Et permettez-moi de vous supplier de terminer vos jours en ma compagnie. Nous ne sommes pas obligées de parler de vous ni même de parler tout court. Mais cela me ferait plaisir que vous restiez à mes côtés comme je resterai aux vôtres jusqu’à votre mort.
- Je reste si vous me promettez de m’embrasser lors de notre dernière séance.

La meurtrière avait dit cela d’un ton calme sans cesser de scruter son interlocutrice. Elle ne vit aucune réaction chez cette dernière mais comprit rapidement qu’elle acceptait, bien qu’une certaine éthique l’empêchait de le dire à haute voix. La jeune femme sourit et se rassit sur son siège comme si rien de ce qui s’était passé n’avait existé.

*

- J’ai aimé vivre. Sincèrement, ça m’a plu. Et vous ?

- J’aime la vie oui.

- Ce n’était pas ma question. Je vous ai demandé si vous aimiez vivre. Vivre n’est pas la vie. En étant que psychiatre vous devriez aisément saisir la nuance.

- Je la comprends, rassurez-vous. Vivre est un verbe provenant du mot latin « vivere » et la vie dit « vita » est un nom féminin. Cela n’a pas tout à fait le même sens je le reconnais. Ne froncez pas les sourcils ainsi, ça vous vieillit. Je vous taquine ; restez tranquille je vous en prie. J’aimerai répondre sérieusement à votre question mais cela m’ennuie d’avouer que je n’y ai jamais songé. Aimer vivre ou aimer la vie… C’est un bon sujet de réflexion. Toutefois je ne crois pas que l’on ait le temps d’en débattre activement.

- Ce n’est pas du tout pareil, s’agita la jeune meurtrière en omettant la remarque de la psychiatre. J’aimais vivre mais je déteste la vie. Vivre c’est la joie que nous procure l’instant présent. Jouir des petites choses de la vie quotidienne. Apprécier un bon café ou un beau baiser… ces petits trucs qui nous poussent à nous lever le matin. Aimer la vie, c’est l’aimer dans sa globalité. C’est aimer ce que les Hommes en ont fait. Or je vois mal comment quelqu’un de raisonné peut s’adonner au plaisir de l’inégalité, de la discrimination ou encore de la débilité humaine sous toutes ses facettes. Je digresse encore mais vous m’aviez dit que nous pourrions parler de n’importe quoi alors j’improvise. Tant qu’il me reste des questions en tête, je les pose afin d’essayer d’y répondre. Si je n’avais pas tant tuer, j’aurai pu y réfléchir davantage et cela nous aurait fait gagner du temps. C’est con.

- C’est vrai, fit la thérapeute d’une voix douce. Je l’ai dit et nous parlerons de ce que vous souhaiterez.

- Vous devenez trop gentille ; ça m’effraie.

La psychiatre rit alors comme si elle ne pouvait contenir ses émotions, puis retrouva son sérieux brusquement.

- Si on m’avait dit qu’un jour je ferai peur à une meurtrière par ma douceur, j’aurai certainement rigolé ainsi. Excusez-moi, je vois bien que vous souffrez.

- Qui ne souffre pas ? grogna-t-elle en se redressant sur son siège. Je ne suis pas une exception bien que j’aime que trop bien souvent la provoquer. Cela fait parti du Jeu.

- Sûrement est-ce votre Idéal…

- Longtemps j’ai cru en l’imperfection, maintenant je crois en l’impuissance, répondit la meurtrière avec un certain détachement. En cette impuissance qui pousse l’Humanité à se détourner du moindre bonheur solitaire. L’Idéal n’est, selon moi, qu’un conte qui n’enchante que ceux qui ont perdu tout goût de vivre, et rien de plus. Généralement, je préfère de loin toute vérité qui se veut intentionnellement confuse mais quitte à tromper le terme, je dirais que j’ai un Idéal à identité plurielle. Toutefois il est vrai que je crois tout particulièrement en la souffrance. Elle fait avancer et me semble de nature nécessaire.

- Notre temps est malheureusement sur le point de s’achever, s’exclama tristement la thérapeute. Pensez cette nuit à d’autres sujets que vous aimeriez traiter.

Elle se leva à ces mots et osa une bise sur la joue de la meurtrière avant de prévenir la gardien qu’il pouvait ramener la prisonnière dans sa cellule.

*

- Etes-vous croyante ?

La meurtrière releva la tête et fléchit les épaules.

- Je ne crois pas qu'il y ait une bouche béante dans le sol garnie de démons près à tous nous engloutir. Nos os sont durs. Notre chair est bien trop emmêlée de nerfs pour être mastiquée sans mal. Sans oublier l’amer goût de pourriture que laisse chacune de nos pensées. Cela infecte nos membres d’un poison plus mortel encore que celui qui a tué le plus immonde des criminels. Je suis certaine que nous avons tous un terrible goût de mort. Alors non je ne crains pas l’Enfer si cela est votre question. Je ne crains pas d’être mal jugée pour mes actes ; je le suis déjà.

- Je vois, fit la thérapeute d’un ton concentré. Donc aucun Dieu ne vous traverse l’esprit ?

- Si l’Homme avait été façonné par un Dieu, ce dernier ne serait pas très honorable, vous ne croyez pas ? Je préfère de loin songer aux dieux mythologiques ; ils sont tous atroces et magnifiques. Je ne pense pas qu’il y ait de pires horreurs que ces dieux. Entre Héra tuant par jalousie, Zeus qui viole une humaine en se faisant passer pour son mari, Cronos effectuant le parricide ou encore ce dernier avalant ses enfants afin de garder le pouvoir, on a ici un tableau parfait des maladies de l’Homme.

- Il est vrai qu’ainsi représenté nous ressemblons à des animaux atroces.

- Il y a injustice, coupa brutalement la meurtrière. Les animaux n’ont jamais tant massacrés pour le plaisir. Nous ne sommes pas des animaux ; nous sommes pires.  

- Votre pensée est bien sombre, déclara la psychiatre en se levant pour la rejoindre. Songez aux jours heureux des Hommes lorsqu’ils font des actes merveilleux. Cela compte malgré tout.

- Pardonnez-moi mais c’est vous qui êtes trop optimiste. N’oubliez pas que vous vous adressez à une meurtrière qui représente certainement à elle seule la plus horrible face du monde. Ma pensée se doit d’être sombre ; sinon pourquoi tuerai-je ?

Leurs yeux se rencontrèrent.

- Changeons de sujet, s’exclama la meurtrière. J’ai trouvé votre bise agréable hier. Tellement agréable que j’ai fait l’enfant en refusant de me laver la joue. Ne rigolez pas ; une criminelle a également le droit de détenir en son cœur des sentiments discutables. Parce que j’en ai un de cœur. Souvent on l’oublie en pensant aux tueurs. Mais la vérité c’est que je sais certainement mieux m’en servir que quiconque. Il faut un cœur pour tuer un être vivant, c’est indéniable. Un cœur extrêmement solide. Et je vous assure que j’ai réellement tué avec mon cœur. Toutes ces années, c’est lui qui a dirigé mon bras et non l’inverse. C’est le même qui m’a poussée à vous embrasser. Il n’y a aucune différence. Je pourrai vous dire qu’il est malade mais cela serait mentir. Mon cœur a sûrement tué pour vous rencontrer.

La meurtrière sourit alors et la thérapeute fut contrainte de baisser le regard.

*

- Il est certain que je vous aime. En même temps, il est normal pour un cœur bientôt achevé de s’enflammer une dernière fois. Réflexe de survie je pense. J’y ai longtemps réfléchi et cela me paraît faire sens. Si je vous effraie, dîtes le moi. Ce n’est pas mon attention. Je veux juste être honnête avec vous. Il est si agaçant de vous regarder et de voir la femme que j’aurai pu tuer. Je n’éprouve pourtant aucune colère, seulement de l’amour. C’est bizarre ce mot dans ma bouche. Il sonne creux je trouve. Je me suis déjà imaginée allongée sur votre corps nue. C’était bon. Je ne vous ai tailladée qu’une fois. Impressionnant, non ? Le mieux c’est que vous n’étiez pas attachée et j’ai compris que le plaisir pouvait aussi provenir de l’autre. Vous m’avez alors pris le poignard des mains et vous m’avez tranché le ventre. J’ai vu mon sang couler. J’ai vu la mort arriver. Finalement, je pense que vous devriez me tuer.

- Pourquoi vous tuerai-je ? Je ne vous aime pas.

- Bien-sûr que non ou alors vous seriez bonne pour mourir à mes côtés. Toutefois laissez-moi prétendre que vous avez de l’affection à mon égard. Il est bien certain que vous ne m’aideriez pas à me sauver d’une mort justicière mais j’ose croire que vous y avez déjà songé. Ne croyez-pas que votre couteau dans votre sac m’est inconnu. Et il n’est pas seulement là pour vous défendre, je me trompe ?

- Je sais bien que vous ne me ferez aucun mal. Si l’idée de vous tuer m’a traversé l’esprit, elle était bien succincte car je ne pourrais jamais en être capable. Et pourquoi prendre tant de risques pour une meurtrière proche de son exécution ? Je ne suis pas assez bête pour ruiner ma carrière pour vous. Ne soyez-pas si imbue de votre personne.

- Pourquoi vous défendez-vous ? Je plaisantais.

La thérapeute haussa les sourcils avec vigueur et croisa les bras en signe de mécontentement. La meurtrière, elle, riait à gorge déployée, bien heureuse d’avoir piégé son interlocutrice.

- Donc vous y avez réellement songé. Vous m’aimez bien.

- Evidemment, rétorqua la psychiatre dont la voix commençait à s’élever. Je vous l’ai dit. La femme que vous êtes n’est pas atroce, la tueuse en revanche l’est.

- Sauf que je suis les deux en même temps alors vous êtes coincée.

- Coincée ? Je ne dirai pas cela. J’ai déjà fait mon choix à la minute où je vous ai vue. Si la tueuse l’avait emporté, je ne serais pas ici à perdre mon temps à essayer de vous aider. La tuerie simple ne m’intéresse pas tout comme la folie. Je suis heureuse que vous soyez autre et que votre personnalité touche à la complexité sinon je m’ennuierais. Je vous aime bien, j’ai beaucoup de sympathie envers vous et je n’ai pas peur de l’affirmer. Vous êtes condamnable mais nullement détestable. Cela fait la différence. C’est peut-être mon problème : je ne vous considère pas comme l’une de mes patientes. Alors en effet, j’ai songé à vous aider mais je sais bien que cela serait inutile. J’ai de la peine à l’arrivée de votre exécution et suis-je moi-même certainement condamnable de penser ainsi mais il est vrai que dans d’autres circonstances, j’aurais pu aimer la femme. La tueuse me révulse mais la femme me fait trembler. Je ne suis pas coincée. J’attends notre baiser. Vous intriguez mes sens mais je ne peux heureusement pas vous aimer.
*

- Si notre relation avait été un roman, elle aurait certainement fini par une romance dégoûtante et par notre suicide mutuel. Je hais les histoires d’amour, je les trouve épuisées par déjà tant de stéréotypes que cela me lasse. J’aurais souhaité en écrire une avec une fin différente où les personnages ne mourraient pas de leurs sentiments mais tueraient de haine. Les auteurs vendent l’amour en jouant sur les pauvres natures naïves qui ont la triste habitude de croire qu’elles méritent aussi de découvrir la passion d’une vie. C’est atroce lorsque l’on sait que beaucoup de morts résultent de ce phénomène. Faire miroiter la fausseté des cœurs et selon moi, le pire crime qui soit. Lorsque l’on se promène sur le net, on peut lire des milliers de jeunes filles espérant que l’Amour leur tombe dessus comme un tueur le ferait sur une victime de passage. C’est pathétique. Elles finiront seules. Je suis heureuse que vous n’y croyez pas non plus, sinon cela m’aurait fait taire. Non vous n’y croyez pas, ne le niez pas. Je déteste le mensonge. Vous avez tant souffert de peines amoureuses que cela vous serait impossible d’y croire encore. C’est sûrement la raison pour laquelle je vous perturbe. Vous percevez en moi un sorte de monstre des sentiments capable de vous libérer de cet immonde espoir qui persiste tout de même à vivre en votre cœur. Je peux vous aider. Cessez de voir en l’amour, une obligation quelconque. Si votre meilleure amie vous affirme que son mari la comble de bonheur, dans la majorité des cas elle vous ment afin d’oublier sa triste condition d’épouse malheureuse. Ne devenez pas ainsi, cela me ferez de la peine. Je suis certaine que vous allez de nouveau aimer mais ne soyez-pas bercée par un amour inépuisable imaginaire.

La meurtrière jeta un coup d’œil par la fenêtre et observa le soleil commencer à descendre lentement dans le ciel. Encore une journée prête à s’achever.

- Ne songez pas au temps, déclara la thérapeute en lui attrapant la main. Pensez aux choses encore non dites. Vous allez mourir c’est un fait mais pour l’instant, je suis en votre compagnie et nous discutons d’amour.

- Je ne suis pas sûre que cela soit réellement d’amour dont nous conversons mais plutôt de son excessive mise en lumière. Entre nous cela n’aurait pas été pareil. Je souhaite un jour que le monde cesse de diffuser l’amour des contes de fées. Les femmes sont honnêtement pires que les enfants dans ce domaine, elles ne cesseront jamais d’y croire.

La meurtrière soupira et d’un geste inattendu, embrassa de nouveau la jeune psychiatre. Le baiser fut cette fois-ci approfondi et dura quelques minutes.

- J’aime bien vous embrasser ; ça détend mieux qu’une clope. Et vous êtes sympa de me laisser faire. Cela fait quoi de se mélanger à une criminelle ?

- Je n’embrasse pas la criminelle, s’exclama t-elle durement. Comprenez-cela une bonne fois pour toute. La meurtrière peut aller pourrir en enfer, cela ne m’ennuie pas mais celle que vous êtes va me manquer.

- Vous dîtes cela pour vous défendre mais vous vous sentez coupable de vous être laissée charmer. Non seulement vous avez embrassé une patiente mais en plus, je suis une meurtrière. Je trouve cela est terriblement excitant et vous aussi. Je ne suis pas le prince charmant sorti tout droit d’un dessin animé, je suis le mal et vous avez succombé. Il faut bien connaître quelques bavures dans la vie. On vous le pardonnera. C’est beau comme amour, c’est beau comme fin de roman. Ce n’est ni romantique ni moralement juste. C’est l’amour vrai car nous savons qu’il va se terminer mais nous ne sommes pas tristes. Nous apprécions.

La meurtrière posa ses lèvres une nouvelle fois sur celles de son interlocutrice avant de sortir de la pièce.
- Je cherche un signe. Une délivrance. Non je cherche l’Attente. Cette Attente qui m’empêche de me presser le cœur. Ce n’est pas tant une envie de mourir qui anime mon vieux corps déréglé mais plutôt une envie de hurler mon mal-être. De cracher au monde tout mon dégoût, tout mon ennui, de me vider de cette obsession d’une vie autre, d’un idéal inexistant. J’ai menti : j’ai souvent rêvé de me tuer ; c’est si facile. La lame était près de ma peau mais ma main se faisait toujours innocente : elle m’écoutait. Et si j’avais oublié de la guider ? Enfin cela ne change rien. A présent, ce n’est qu’une question de temps. Bientôt je pourrirai sous terre et je deviendrai ce que je cherche. J’incarnerai le Néant, je serai le Vide. J’oublierai l’ennui, je vomirai cette humanité inhumaine et je cesserai enfin d’être ce que je hais. Il est tout de même amusant que je n’ai su me tuer alors que j’ai si bien servi la mort. C’est d’un ridicule.

- La mort arrive dans trois jours. Avez-vous songé à la vie ?

- Oui et plus j’essaie de la comprendre, plus je m’en détache. Je la regarde et je me dis qu’elle serait sûrement moins cruelle si les Hommes n’avaient pas connu naissance. C’est drôle comme une personne à elle seule peut aussi bien illuminer le monde que de le détruire. Chacun d’entre nous l’affaiblit à sa manière, lui dérobant une petite part de sa bonté. Ou dans mon cas, une grande part. Tous les jours je me lève et découvre avec horreur que je refais les mêmes pas douloureux que la veille. J’ai beau changer mon chemin, je reviens toujours au meurtre. Cela me colle. Je n’y peux rien. Peut-être sommes-nous condamnés à suivre une voie prédestinée ? Peut-être sommes-nous incapables d’améliorer notre pensée ? Plus j’y réfléchis, plus le comique l’emporte sur le pathétique. En effet si ma personne est déjà écrite, je préfère de loin en sourire que d’en pleurer inutilement. Le meurtre est ce qui a fait de moi une personne à part entière capable d’exploiter la nouveauté. Et pourtant tant d’hommes ont commis le crime avant moi. Voilà ce qui m’emporte et m’étonne à la fois : cette ridicule différence qui sépare le « je » des « autres ». C’est ce que je retiendrai de la vie.

- Et que retiendrez-vous de votre dernière semaine ?

- Je retiendrai l’ardeur avec laquelle j’ai songé à survivre. C’est normal je pense.

- Quelle sera votre dernière pensée ?

- Vous.

La thérapeute fixa la jeune meurtrière d’un œil intrigué.

- Réfléchissez-bien : vous n’avez le droit qu’à une seule dernière pensée. Souhaitez-vous vraiment la gaspiller en pensant à celle qui est directement liée à votre exécution ?

- Cela n’est rien d’autre qu’une pensée mais oui j’en suis sure. Vous représentez à la fois ma vie et ma mort. C’est plutôt un beau résumé. Je songerai certainement à notre dernier baiser. Le baiser de la mort. Je suis bien heureuse que cela soit vous qui me le donniez.

*

- Je suis les autres. Et en même temps je suis celle qu’ils ont toujours rejetée. Je n’ai jamais cessé, depuis l’école secondaire, d’être l’objet de violentes brimades incessantes. Pour je ne sais quelle raison, ils m’ont empêchée de me définir en tant qu’enfant et ont au fil des années empli mon cœur d’une haine vigoureuse, de solitude, d’une intense aigreur et sûrement même de quelques penchants pour la dépression continue. A l’époque je dois admettre que j’étais étrangement plus endurcie et optimiste qu’en ce jour. Ironiquement, mon rapport à la vie a brusquement basculé lorsque les persécutions ont cessé lors de ma deuxième année de lycée. Avant cela, je jouissais d’une enfance certes peu enviable mais d’une confiance et d’une force de caractère dépassant l’ordinaire chez un enfant. Je ne connaissais que la souffrance, les insultes et la solitude mais jamais je n’aurai pu être plus heureuse. Je gardais en mon cœur une foi insatiable envers les Hommes et chaque matin je me levai avec la certitude qu’il serait meilleur que le précédent. Pour preuve, je ne suis jamais plainte à ma famille, qui a découvert les tristes conditions de mon enfance des années après. Lorsque je me replonge, par quelques temps de nostalgie, dans mes souvenirs d’enfance, je suis bien forcée d’admettre que je n’en ai qu’un nombre infime ; je dirai même trop infime pour que cela n’étonne pas ceux qui me demandent d’en évoquer certains. Bien souvent j’élude ou je prétends une urgence quelconque car si je dis clairement la vérité je peux être sûre d’obtenir des regards inquisiteurs et méfiants. Je me souviens pourtant d’un épisode de ma vie qui a été assurément le commencement de mon étrange adoration pour le vide et le néant. Il y a de cela une dizaine d’années des camarades de classes, familiers aux plaisanteries de mauvais goût, m’avaient enfermée pendant deux heures dans des toilettes nauséabondes. Je peine à me souvenir s’il y avait eu ou non une panne d’électricité mais il faisait aussi noir que s’il faisait nuit. Ainsi mes agresseurs ne pouvaient nullement m’apercevoir en train de pleurer. Lorsque mes yeux furent suffisamment gonflés et rougis d’irritation, je m’étais aperçue que la vie ne semblait pas si terrible. Oui, il y avait là, quelque chose de rassurant, de beau dans cette obscurité qui s’amusait à égarer toute haine. La souffrance maigrissait d’un coup et se voyait remplacer par un soulagement divin. Ce petit lieu clos avait protégé mes yeux meurtris de la lumière et avait ainsi repoussé une réalité perfide. Depuis ce jour, le Noir est mon protecteur, mon seul véritable ami contre une vie qui m’a, dès mon premier cri de douleur, prédestinée à l’exil, condamnée à une insatisfaction perpétuelle. Peut-être est-ce la raison de l’Horreur qui me tient aujourd’hui. Jamais je n’aurais osé imaginer que mon corps serait un jour devenu mon ennemi le plus farouche mais aussi le plus vil. A la simple vue de ce spectre hideux, je frémis, je vomis des larmes dont la terrible acidité me brûlent à m’en arracher la peau du visage. J’ai beau frapper mon cœur ou encore secouer ma tête bourdonnante de questions insensées, mes sentiments restent muets et le monde n’en reste pas moins figé. La souffrance est telle que j’échangerai aisément mon bien le plus précieux pour devenir soudainement aveugle. Mais cela ne fonctionne pas ainsi.

- N’avez-vous aucun souvenir heureux ? s’enquit la thérapeute en croisant les jambes. Je ne peux croire que votre jeune cœur n’a été sujet que de haine atroce. Racontez-moi un souvenir de vos premiers émois amoureux.

- Mes amours les plus fous se sont longtemps distingués, paradoxalement, par leur inaccessibilité. Que vous ne vous riez de mon goût virulent pour les sentiments cachés car tout au long de mon adolescence, il ne fut question que de jolis sourires, de regards enflammés et de poitrines compressées. Ma conception de l’Amour n’a jamais cessé de s’apparenter à une beauté foudroyante dont mon cœur n’arriverait à se détacher mais ne pourrait, au grand jamais, se permettre de toucher. Sûrement mes jeunes lectures aux héros passionnés avaient contribué à mon éducation sentimentale naïve. Ainsi, il vous ait aisé de comprendre ma dévotion totale et immuable pour les histoires d’amour sans histoire. Mon amour se résumait bien souvent à une simple contemplation de la femme désirée et à un jeu de séduction indéterminé ; au delà de cet état mes sentiments se retrouvaient brisés et l’ « idéalisée » perdait tout son intérêt. Certains jugeaient ma condition comme une malédiction terrible mais je leur répondais que je ne pouvais soutirer plus de plaisir que dans un câlin un peu trop appuyé, ou dans un geste à la signification troublée. J’illustrerai mes propos par le cas qui fut certainement le plus significatif de mon adolescence. Du premier regard, j’ai su reconnaître la passion, et je jouissais du bonheur que l’attente de la sublime rencontre me procurerait. A chaque regard, je soupirais et j’espérais que le hasard viendrait satisfaire mon ardente adoration qui semblait ne jamais se tarir. Et le hasard se fit heureux ; notre rencontre tomba un mercredi matin où je pus pour la première fois suivre du regard le moindre de ses traits sans craindre d’éveiller sa suspicion. Face à ce corps qui me hantait, j’admirais la chute extraordinaire de son décolleté, la ligne parfaite de ce cou si gracieux, ses yeux noisettes qui semblaient me transpercer d’un éclair aussi jouissif qu’électrisant. Choisir l’italien, langue dont je ne sais mot, comme sujet de conversation n’aurait pu paraître plus délectable ; elle parlait, je l’écoutais d’une oreille attentive mais sûrement un peu distraite aussi. J’acquiesçais et souriait jusqu’à m’en provoquer un mal atroce. Le point culminant de mon ravissement fut lorsqu’elle me demanda étrangement de lui gratter l’avant-bras droit. Sur le moment je ressentis une incroyable vague de déception ; j’aurai souhaité le gauche. Elle releva alors sa manche et je pus contempler sa peau d’une blancheur attendrissante. Allongée par terre, la tête légèrement calée sur son sac, elle posa allégrement son bras sur ma cuisse gauche. Le premier contact fut si vif que le fond de mes entrailles en ressentit toute l’extase. Je m’exécutais avec toute l’application d’un enfant. J’étais si effrayée de contrarier son souhait que mes doigts osaient à peine frôler sa peau, transformant mes grattages en caresses légères. Parfois l’envie lui prenait de tourner son bras, ce qui eut pour conséquence involontaire mais non pas déplaisante, de positionner sa main au niveau de mon entre-jambe. Je crois bien avoir manqué un battement ou deux à la vue de cette posture que mon imagination ne put s’empêcher de reproduire par la suite. Par chance, elle avait fermé les yeux si bien qu’elle ne pouvait s’apercevoir de ma gêne et de mon excitation naissante. Elle était belle ainsi ; le soleil illuminait sa longue chevelure flamboyante et la chaleur qui l’avait poussée à relever de quelques centimètres son t-shirt, offrait à mon œil avide le spectacle d’un ventre plat sans la moindre imperfection. Il est inutile, je crois, de signaler l’état dans lequel mon pauvre cœur se trouvait. Je commençais à avoir une crampe à la main mais il ne me vint pas à l’esprit une fois de me plaindre, je savourais chaque seconde de contact si parfait, si touchant, chaque effluve de parfum comme un instant volé au monde. Je continuais mes caresses avec soin, élaborant même mon prénom du bout du doigt. Telle une possédée, j’inscrivais ma passion à travers sa chair, luttant contre le désir brûlant de la couvrir de baisers. Jamais je ne connus plus grand bonheur qu’en cet instant là, observant la fille de mes songes s’offrir à moi sans le savoir, nourrissant une passion certes éphémère mais de loin la plus fabuleuse qui soit.

- Aviez-vous songé à lui faire du mal ?

- Non je n’aurais pu. La souffrance n’est venue qu’après. Elle est venue sans prévenir et Elena en a subi la colère injustifiée. C’est ainsi. Mais j’aimais déjà avoir le pouvoir.

- Votre jeunesse a donc bien été un point stratégique de votre terrible devenu, s’exclama la psychiatre en souriant.

La meurtrière se leva d’un bond et déclara d’une voix ardente :

- Ah ! Quelle douce étrangeté qu’est la jeunesse ! Ardue, difficile, complexe, compliquée mais également facile, aisée, rayonnante, heureuse ! Voilà ce que c’est la jeunesse : un amalgame de mots aux définitions souvent indéfinies, de multiples chemins à la fois perdus et évidents. Observez alors qu’il serait bien injuste que de l’accuser de ma tuerie. J’ai tué mais ma jeunesse n’y a aucunement contribué. Sinon cela serait trop facile, n’est-ce pas ? Je préfère y voir un temps d’innocence qu’un préparatif odieux de mes crimes.

*
- Vous avez choisi la chaise électrique comme exécution mais quelle est pour vous la mort la plus belle ?

- Périr dans les flammes, voilà le Bonheur véritable ! Voilà la belle mort !

- Pourtant les flammes sont synonymes d’Enfer, rétorqua la thérapeute en haussant les sourcils d’étonnement.

- Souvenez-vous de la citation de Sartre « L’Enfer c’est les autres ». Le monde regorge de dangers bien plus cruels que le destine l’Agonie ultime mais si ces derniers n’étaient pas la seule raison de vivre, sûrement serions-nous condamner à une douce inertie. Ces dangers incarnent le Vice et en exploitent toute la véridicité de son sens. Qui sont-ils ? Les Hommes ? Non « les autres » ! Ceux qui vous empêchent d’atteindre la perfection d’esprit nécessaire à l’épanouissement total de la machine infernale qu’est le Cœur. Ceux qui vous poussent à douter, à vous extasier devant une souffrance sans provenance. Ceux qui, par leurs mystères, vous éloignent de la Vérité et vous distraient de vivre. Quels mots imprononçables ! « Les autres » ! On pourrait aisément s’éprendre de leur sonorité ridicule ou bien de leur composition presque irréelle. « Les autres » ! A quoi joue-t-on si ce n’est à se tromper mutuellement ? Où sont donc passées les règles ? Remplacées par des battements purement sanguinaires ! Observez les âmes qui défilent et vous verrez qu’elles deviennent peu à peu invisibles. Aussi, asseyez-vous près d’une source de vie et tentez d’élaborer un plan de la mécanique humaine. Comment cela, vous n’y arrivez pas ? Je vais vous révéler le secret qui scelle et aplanit le monde : l’Homme ne vit que par énigmes et ne survit qu’à travers leur irrésolutions. Elles n’ont pour autre objectif que de combler leurs troubles et leur incapacité à tout comprendre. L’Homme se veut savant mais ne se justifie que par son ignorance. Ici est la faille, l’erreur qui provoque le déchirement. Tant de vies se distinguent et croisent notre destinée fatale sans pour autant convaincre notre injuste estime. On les regarde avec pitié, avec envie, on en rit, on en pleure mais jamais, non jamais, nous n’osons écouter leurs mensonges, nos mensonges. Ou si nous le faisons, ce n’est que par faiblesse ou par désir de tromperie. Dans tous les cas, l’Homme se plie devant l’abîme d’incertitude qui est le terme même de son existence. Il invente son Jeu et ainsi ne tombe pas dans l’ennui. Cette notion de déni est très importante dans la mesure où elle régit la réflexion même de Sartre. Quand notre reflet apparaît, nous distinguons automatiquement une forme qui diffère du genre humain. Nous nous sentons soit complexé d’être inférieur, soit, au contraire, de posséder des compétences inégalées d’où le terme « les autres ». Mais souvent, c’est justement la honte du semblable qui nous pousse à nous sentir unique. Ce désir de rupture, de non-appartenance s’accentue d’autant plus lorsque l’on sait que l’on ne peut, malheureusement, nullement y parvenir. C’est alors que l’on tourne, que l’on se cherche à travers un monde qui repousse aussi bien qu’il attire dangereusement nos yeux d’enfant. Nous errons dans cet enfer divin dont l’on tente en vain de s’extirper vivant. Réalité que l’on n’écoute que trop peu souvent mais aisément justifiable. Après tout, si l’Enfer était déjà sur Terre, quel intérêt de vivre ? Quel intérêt aurait-on de croire en l’existence du Bonheur ? Mais surtout, quel intérêt de mourir ? Construire son supplice à venir, voilà l’unique jouissance possible. Le fait que la Mort achève nos rêves, nous certifie l’utilité de l’excès de vivre. N’est-ce pas finalement le dilemme de la condition humaine ? Savoir pour vivre ou ignorer pour mourir ? Ne sommes-nous pas éternellement déchiré entre Pensée et Passion ? Entre sérénité de l’Esprit et souffrance du Cœur ? Oh Monsieur Sartre, est-ce donc la crainte qui s’échappe de vos mots ? Ou bien la lucide vision d’un homme qui a tout vu, tout vécu ? Les flammes brûlent, « les autres » tuent. Alors comprenez mon choix des flammes ! Si elles rappellent l’Enfer pour certains, moi elles m’en sortent !

*

- Voici notre avant-dernière journée ensemble, s’écria la meurtrière en riant. Parce que demain je vais mourir, ça ne compte pas. J’ai rêvé cette nuit de ce que j’aurai pu faire de ma vie si je n’avais pas été gracieusement nimbée de l’amour du sang. Mais je ne vous aurai pas rencontrée. Je me fiche bien de ne pas avoir connu le bonheur naturel. Cela ne m’ennuie pas. J’aurai vécu une courte vie mais une vie où j’aurai fait frémir des cœurs et fait bouillir la haine. C’est plus que la plupart ne peuvent rêver.

- Que souhaitez-vous parler en ce dernier jour ?

- Rien de particulier, c’est un jour comme un autre.

- Ne jouez pas les durs, vous tremblez.

- Je vous assure que je me lasse de m’exprimer aussi longuement. Je n’ai plus grand chose à dire.

- Je serais près de vous, ne craignez pas la mort, susurra la thérapeute en prenant la main. Essayez de vous détendre et ne pensez pas au temps. Croyez-moi il passera lentement.

- Vous êtes si gentille avec moi ; c’est presque écœurant.

- Je peux cesser de l’être mais je ne vois pas l’utilité. Vous méritez une présence rassurante comme vous l’avez fait à vos victimes.

- Seulement, elles ne méritaient pas de mourir. J’aurai commis tant de choses atroces… Le monde est vraiment un monstre étrange.

- Pourquoi avez-vous si peur de parler ? Je vous sens distante et lointaine. Ne croyez-pas que cela ne m’effraie pas aussi. Demain je vous ne verrais plus jamais. Je ne verrais plus que votre tombe. Je viendrai vous parler je vous le jure.

- Ne perdez pas votre temps ; je ne vous entendrai pas.

- Sûrement mais votre corps sous terre me sentira. Et puis je ne pourrai me résigner à vous laisser seule.

- Vous n’êtes pas une très bonne thérapeute, fit la meurtrière en la scrutant avidement.

- Non en effet mais vous n’êtes pas une très bonne meurtrière non plus.

*

Le noir était complet. La thérapeute sentait le souffle rauque de son amie pénétré tout son corps de manière parfaitement désagréable. Elle s’assit à côté d’elle de façon à ce que leurs cuisses se touchent. Il fallait que la meurtrière connaisse la vie une dernière fois, qu’elle la sente sans pour autant assouvir son besoin d’ouvrir la chair. Une certaine forme d’absolution. Elle prouvait qu’elle n’était effectivement pas éprise d’une folie maladive, qu’elle n’était pas comme ces vulgaires psychopathes, victimes d’une déviance pathologique incurable. Oui, il s’agissait davantage d’absolution personnelle, de véritables remords.

- Pourquoi rester dans le noir ? Il est étrange pour un condamné à mort de favoriser l’obscurité. D’habitude la lumière est un cocon bien enviable. Souhaiter voir le monde une dernière fois est souvent pratique courante.

- Il faut croire que je ne suis pas une condamnée écervelée pleurant sur les choses du passé. Ne pas m’accorder la vie une manière cruelle de me punir de ce que je suis. Mais passons, vous n’êtes pas venue hier : j’ai bien cru à l’abandon. J’ai failli mourir de rage et de tristesse. Sûrement me serai-je à cette heure-ci, noyée dans mes larmes.

- Je le sais bien ; les gardiens avaient si mal aux oreilles qu’ils ont du vous bâillonner pour étouffer vos cris. Je n’aurais jamais songé faire autant d’effet à une meurtrière connue pour son sang froid et sa cruauté.

La psychiatre scruta sa moue indignée d’un œil attendri et vint l’entourer de ses bras chauds.

- Si je n’étais pas là, c’est que j’essayais ardemment de vous trouver un cadeau d’adieu.

- Et quel est-il ? se moqua cyniquement la jeune meurtrière. De l’eau bénite ? Un chapelet ridicule ? Ou mieux encore une photo de mon passé ?

- Non, dit-elle posément avec un petit sourire en coin. J’ai obtenu la permission d’abaisser le levier. Je serai votre bourreau et je comprendrai alors la sensation d’ôter la vie à la femme que l’on aime. Si je n’ai pas le pouvoir de vous sauver, j’ai au moins celui de vous accompagner dans la mort.

Sa voix se faisait tremblante et la meurtrière devinait qu’elle venait tout juste de réaliser l’ampleur de la situation. La psychologue se mit alors à pleurer longuement aux creux du cou de sa compagne qui tentait vainement à ne pas songer au lendemain. Elles firent tout de même l’amour. Il leur fallait s’aimer au moins une fois. La psychiatre ne songea pas au sang, seulement au plaisir de palper la peau de la jeune femme. Qu’importe qu’elle soit souillée par la mort, le côté humain prenait le dessus. Jamais elle n’aimerait autan
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Thérapie mortelle - HannahP22
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