Ses poésies s’inspiraient de sa vie, qui n’était rien de plus que celle d’une adolescente en manque d’un père, perdue dans l’immensité d’une ville prétentieusement fière d’avoir élevée des géants tels que Bill Gates, Bruce Lee, Kurt Cobain et tant d’autres. Elle, elle avait sans cesse U2 dans la tête ; sa mère écoutait inlassablement leur titre « With or without you ». Elle l’avait découvert à sa sortie, en 1987, avec son père. La même année, voyant ses yeux s’envoler dans les étoiles à l’instant même où elle entendait un clavier un peu magique et une douce batterie s’harmonisant à la radio, il lui acheta le magazine américain Time, où le groupe faisait la couverture grâce à leur " pureté ". C’est ainsi que sa mère surnommait leur chanson. A force d’entendre ce mot qu’elle estimait tant, sa fille unique rêvait, au plus profond d'elle-même, de lui offrir une seconde " pureté ".
31 octobre 2000Leur premier album sortait aujourd’hui. Elle n’avait pas fermé l’œil de la nuit, et pourtant cet évènement n’en était pas véritablement la cause. En fait, c’était elle. Braeden.
22 mars 1998Jayden flânait dans un quartier de Los Angeles : San Gabriel. Les immeubles interminablement grisâtres lui rappelaient ceux d’Hong Kong. Elle se téléporta malgré elle des années en arrière, revoyant son père se réfugier dans les tours alors que sa mère partait au marché, sous le regard néfaste des marchands. Elle y achetait du thé noir, chaque semaine, chez le même vieillard, qui lui répétait exclusivement « vingt-et-un » de sa voix charnelle, à qui elle donnait des dollars de Hong Kong, qu’elle remerciait en partant puisqu’après avoir pris l’argent il lui tournait le dos. Elle préparait son thé dans l’après-midi ; il était immonde, j’en buvais, elle en était heureuse. Je détestais cette vie.
C’est avec cette conclusion hâtive que Jayden voulut penser à autre chose, mais elle n’y parvint pas. Les paroles de sa mère la tourmentaient, l’enrageaient à vrai dire. " Pour moi ces quatre années à Hong Kong ont été magnifiques, car j’étais encore avec les deux amours de ma vie. "
C’est instinctivement que Jayden sortit son baladeur PMP300. Son casque était déjà sur ses oreilles, et le clavier un peu magique se mit à retentir. Elle connaissait les paroles plus que tout ce qu'elle avait pu connaitre, et les marmonnait doucement, juste assez pour elle. Sans trop réfléchir, elle s’assit devant le café de Pulciano, et regarda pendant des heures le ciel qui s’assombrissait, une tasse de thé froid entre les mains. Cette chanson restait un mystère. Ce flou des paroles permettait à chacun de s’identifier. Ainsi, le drogué, le fou d’amour, le fou de dieu… hurlait intérieurement ces mots profonds. Comment peut-il vivre, depuis qu’il a découvert cet amour qui est plus fort que lui ? Pourtant, je me rappelais d’une phrase de Daniel Poliquin, auteur d’un livre que j’avais dévoré quelques mois plus tôt. « L'instinct de survie est plus fort que n'importe quoi, plus fort que l'amour même, quoi qu'en disent les bonnes âmes. C'est la nature. »
Machinalement, je me mis à tourner la cuillère dans ma tasse de thé, ce qui semblait inutile vu que je ne mettais jamais de sucre. Je dirais même stupide ; le thé était froid et je n’avais plus l’intention de le boire. Quoi qu’il en soit, je me perdis à nouveau dans mes pensées, assurée qu’en effet, même en aimant quelqu’un, nôtre survie passerait avant la sienne. Le monde était ainsi fait. Attristés, écœurés par cette vérité, les hommes ne la reconnaissent pas, et les belles chansons qui vont à l’encontre plaisent puisqu’elles nous glorifient. Nous ; êtres minables. Dieu, lui, n’avait certainement pas pensé à cette théorie, se disant qu’une vie en valait une autre, qu’il l’admire ou la blâme, le résultat fut celui qui suit : il préféra mourir à la place d'un traître. Qui d’autre accomplirait cet acte ?
Elle hocha la tête et sortit de ses songes, un peu fière d’une telle réflexion. Elle remarqua enfin la douce pluie qui s’abattait, raison pour laquelle tous les clients autour d'elle s’étaient éclipsés. Etant dans un de ses grands jours, elle posa sa tasse, puis son coude sur la table, imitant ainsi Le Penseur, et s’exclama :
- Et après tout pourquoi fuit-on devant la pluie ? Et les tempêtes ?! insista-t-elle avec d’avantage de force.
Devant cette drôle de bonne femme, le garçon de café – qui s’apprêtait à proposer à Jayden de s’installer à l’abri – fit un demi-tour sur lui-même et alla se cacher derrière le comptoir, d’un air de dire : « Celle-là, je ne la connais pas ! ». Jayden, imperturbable, se perdit à travers de belles théories – dans lesquelles elle parvint tout de même à placer on ne sait comment les mots cigognes et arrosoir. Peu à peu elle intériorisa ce passionnant monologue. Elle avait l’air maligne comme ça, sous la pluie, à rêver dont on ne sait quoi en rapport avec ces fameux pigeons. En tout cas, cette scène perturba Breaden, qui s'arrêta sans trop s'en rendre compte pour regarder la jeune d'un air intrigué. Lorsque Jayden l’aperçut, toutes ses pensées s’envolèrent au milieu des gouttes de pluie. Les nuages grondaient doucement dans le ciel, leur couleur s’assombrissait, leur donnant paradoxalement une douce légèreté. Mais je n’y prêtais pas attention. J’étais juste… émue en voyant cette femme. Ca ne s’écrit pas, se dit encore moins ; mais moi je me comprenais. J’ai acquiescé un sourire, elle y a répondu, fronçant légèrement les sourcils, comme amusée par la situation. Sans savoir pourquoi, j’ai ri, tentant de me retenir – sans succès. J’ai souri comme si chaque parcelle de mon corps n’attendait que ça ; que ce sourire parfaitement sincère. Je perçus le même chez elle. En me levant – je fis tomber la chaise, détail qu’elle me conta plus tard sous mon regard consterné par ma classe inégalable – je n’avais qu’une idée en tête, ou peut-être plus que ce que je n’avais jamais eu, en tout cas c’était différent ; l’approcher. Je le faisais avec une part de méfiance, comme si je m’avançais vers un ange qui pouvait s’envoler à tout instant. Dans ma tête, c'était le déluge. Je pensais à mille et une choses. Des trucs auxquels je n'avais jamais pensé et d'autres qui partageaient mon quotidien. Je n'savais pas que ma petite tête était si remplie. Je crois que j'aurais pu lui dire tout ça. Mais je suis arrivée face à elle. Plus vite que prévu je crois, car toutes mes idées se firent la malle et moi… j'me suis retrouvée seule devant cette belle inconnue avec rien d'autre que les battements de mon coeur comme seule compagnie. Et j'me suis sentie conne.
- Voudrais-tu m’emmener ? soufflais-je entre deux infarctus évités je ne sais comment.
- Où ? répondit-elle simplement, pas le moins du monde embarrassée ni même surprise.
Je hochai la tête.
- Là où tu voudras.
Elle leva la tête au ciel d’un air futé, me sourit, puis partit s’asseoir là où j’étais quelques temps plus tôt.
Une petite tête sortit du comptoir, pistant une nouvelle folle qui allait se poser devant son café. Exaspéré, il leva les yeux au ciel en baragouinant un nombre incalculable d’insultes envers le pauvre homme qui lui avait pourtant vendu de bon cœur son ancien magasin.
- Quand j’étais petite, ma mère me disait que la pluie n’était pas effrayante, puisqu’il s’agissait des larmes de dieu.
- C’est beau, murmurai-je simplement ; ce qui ne lui suffit pas. Devant son regard insistant, j’essayais tant bien que mal de développer une de mes nombreuses théories qui, en si peu de temps, ne ressemblaient qu’à des délires d’adolescent, soucieux de paraître brillant aux yeux des autres. C’est beau, continuai-je, de réussir à voir de la pureté dans quelque chose que tout le monde fuit. Et du coup, ça ressemble un peu à une bénédiction.
Ce n’était pas exactement ce que je voulais dire, mais c’était à peu près ça. Elle se leva, apparemment satisfaite de ma réponse, et annonça d’un ton aussi doux que persuasif :
- Rapprochons nous de lui.
Je ne savais pas ce qu’elle avait en tête, mais je l’ai suivi, alors que la pluie s’épaississait à vue d’œil, car pour la première fois je me sentais en vie.
Nous avons marché, longtemps je pense, vu le nombre de kilomètres parcourus. Et nous sommes enfin arrivées dans les montagnes de San Gabriel. On ne reconnaissait alors les nuages des monts uniquement grâce à leurs mouvements vers la droite. Tout se chevauchait, s’alliait, se complétait, se mélangeait, formant ainsi une immensité aussi déconcertante qu’attirante. Le jeune printemps nous offrait la verdure et la naissance de bourgeons un peu partout dans les plantes.
Au milieu de cet infini, elle était là. Plus grande encore. Plus impressionnante. Plus attirante. Son regard se perdait dans le ciel, et le mien contre elle. Ses cheveux guidaient le vent. Elle était au centre de tout. Elle venait de m'annoncer qu'elle était la mère de l'humanité, sans pour autant prononcer un seul mot. Je suis allée vers elle, pour la prendre dans mes bras. Ce n'était même plus moi qui agissais, c'était une force qui me dépassait. J'étais en vie. Je souris doucement, elle regardait toujours ailleurs, pensive, elle ferma les yeux. La pluie tombait sur son visage, et la rendait encore plus belle. Nous étions seules. Véritablement seules. Alors, comment dire ça quand c’est vrai ?... Pourquoi les mots inventés sont-ils à la fois si durs à prononcer et pourtant tellement minables ? J’aurais eu plus de facilité à lui dire tous les mots que j'avais prononcés depuis ma naissance à maintenant en une seule seconde plutôt que ces trois mots en toute une vie. Ma bouche s’ouvrait, se refermait. Je mordais mes lèvres, pensant que ça m’empêcherait de dire une connerie. Elles agirent sans moi. Ou alors avec tout de moi. Mais je n’y étais pas préparé. Enfin je crois. Elles se posèrent doucement sur celles de Braeden. Et celles-ci, étaient-ce les lèvres de dieu ? Oui. De mon dieu. Je ne pensais désormais plus avec des mots, mais des sentiments.
Août 2000Breaden était dans mes bras, redevenue calme. Son sourire me transporta dans des songes qui devenaient mon quotidien : des songes qui ne concernaient qu'elle. Belle. Oui car avec elle c'est une évidence que le mot belle vient d'elle. Bien plus que chacune des femmes que tous aient rencontré depuis la nuit des temps. Douce, forte aussi. Ce paradoxe était sans doute son plus grand charme. Têtue, avec une sureté en elle totalement faussée ; Madame, votre orgueil que vous tentez si bien de montrer aux autres ne marche pas une seconde avec moi. Je connaissais ses failles, bien qu’invisibles pour tous. Je connaissais ses mensonges et ressentais de la fierté à chaque fois qu’elle en inventait un nouveau, sachant impudemment que j’étais la seule à savoir sa réelle nature. Je connaissais ses émotions ; ces sentiments qui pourtant sont uniques pour chacun d’entre nous. Elle les partageait avec moi. Sans honte, sans jamais tenter de les dissimuler ou de les fausser à son avantage, puisque nous étions hors des autres et qu’il ne pouvait y avoir un moindre détail que nous nous serions caché.
Dans mes bras, elle ne prononçait pas un mot. Si elle ressentait de l’affection, elle baissait doucement la tête et ses yeux s’adoucissaient. A son contraire – quoi que, pas tant que cela… -, lorsqu’elle voulait chahuter avec moi, ses pommettes s’arrondissaient et son sourire trahissait ses tendres intentions. Moi, je me perdais à la regarder faire. Cela de longues heures. Mais là tout de suite, elle m’avait épuisé. Nous venions de finir un film sur le Kung Fu – que je n’aurai jamais dû lui montrer -, et Breaden s’était mise à sauter dans tous les sens dans notre petit appartement, jusqu’au moment fatidique où elle se jeta sur moi, moi sur le lit, le malheureux ne voulant ni de moi ni de ma délicatesse, son ventre me dégagea sur le sol et Breaden continua, ni vu ni connu, à poursuivre l’Empereur Jaune de Chine pour lui montrer qu’elle aussi se battait très bien. Je la soutenais ; j’étais KO.
Après avoir pris conscience que le pauvre empereur ne ressusciterait pas près de cinq mille ans après son décès même pour voir son talent exceptionnel, elle s'allongea sur le lit et me dit de la rejoindre. La main au dos, je remontais sur le lit comme une vieillarde de quatre-vingt dix ballets. Ca l'amusa, elle voulait encore chahuter.
- Nan je me rends ! Ai-je eu le temps de dire avant qu'elle ne saute à nouveau sur moi.
Elle était dans mes bras. Je ne cessais de la regarder avec des yeux remplis de paroles inexistantes. Elle comprenait tout. Elle avait la capacité incroyable de décrypter tout ce que je ressentais sans jamais se tromper ; et elle m'avait donné ce don pour que je puisse à mon tour tout savoir d'elle. Je souris doucement, elle s'approcha pour déposer un doux baiser sur mes lèvres.
- N'empêche, commença t'elle avec cette bouille qui voulait dire "attention je vais sortir une connerie !", tu auras été une kung fu fighter pitoyable !
La connerie était venue ! Je lui sautais dessus pour l'embrasser dans le cou autant que pour la chatouiller ; ses rires me suppliaient d'arrêter, mais pour une fois que j'avais le dessus sur elle, j'en profitais, elle le savait, c'était à notre plus grand plaisir à toutes les deux !
Nos rires furent interrompus par des frappes sèches et multiples données à la porte d’entrée. Plus je m’y dirigeais, plus l’inconnu bourrinait. "Quelle plaie…" J’ouvris la porte et vis alors ce petit homme au crâne rasé me regarder avec indignation. Ma plaie, elle s’appelait Sergio.
- Elle est où ?
- Certainement dans le lit, elle est fatiguée, elle a couru partout pour trouver l’emp…
- Ca m’amuse pas Jayden.
Sergio m’abattait un regard noir. Il s’assit sur le canapé déchiré de tous les côtés et calma son visage entre ses mains.
- T’en as pas marre de vivre dans ce taudis ?
Jayden voulait répondre qu’elle y était heureuse, mais évita ; son ami l’aurait pris comme une provocation.
- Tu sais pourquoi j’suis sur les nerfs ? Parce que je me suis fait incendier par DreamWorks quand je leur ai dit qu’on n’avait pas encore fini la dernière chanson. Heureusement que j’leur ai pas dit qu’on n’a même pas les paroles, rajouta t’il sarcastiquement.
Sergio se leva d’un coup et attrapa Jayden par le col de sa chemise. Sa main tremblait. Les yeux de Jayden fuyaient les siens qui la dévisageaient hargneusement. Ses lèvres et son menton aussi tremblaient. Il voulait dire tellement mais ne parvint pas à trouver les mots qui pourraient enfin raisonner son amie. Il la lâcha en soupirant bruyamment, puis s’en alla.
- Pense à ta mère Jayden.
Et la porta claqua.
Quelques foutus jours plus tard.Breaden était partie. L’indifférence de Jayden la blessait autant qu’elle lui confirmait qu’elle ne faisait pas fausse route. C’était fini. Elle ne la regardait plus. Ne la voyait même plus. Parfois néanmoins, elle la trouvait pour l’insulter, prétendant qu’elle était la seule coupable de son incapacité à écrire. Elle laissait ainsi derrière elle une femme qui tombait, chaque jour un peu plus, dans l’obsession de l’écriture parfaite. Ou plutôt, de l’écriture " pure ". C’était pourtant loin d’être le cas. Jayden arrachait chacune des feuilles qu’elle gribouillait par la force seule de son stylo contre le papier. Elle buvait du café pour rester éveillée, tenta une dose considérable d’alcool, espérant ainsi écrire avec de grandes métaphores jamais égalées, mais en vain. Rien ne lui convenait. Rien n’était assez bien. La violence remplaçait peu à peu la tendresse, et l’envie disparaissait, devenant une sorte de quête de survie.
Les cernes noirs et son manque d’appétit lui donnaient l’air d’une toxico. Ses mains tremblaient de rage ; elle n’écrivait pas deux mots qu’elle se mettait à griffonner le papier jusqu’à le déchirer. Elle perdait peu à peu le thème de sa chanson, ne sachant plus quelle histoire pourrait faire rêver ou donner aux gens l’envie de la qualifier de pure. Elle copiait U2 ; c’était encore plus pitoyable que ce qu’elle gribouillait.
- Et merde !
Ses poumons s’arrachaient sous son cri. Se déchiraient. Et son cœur, elle ne le ressentait plus. Ce n’était qu’un organe comme un autre, qui ne faisait que battre pour affaiblir tous les autres. Elle trouva la force – la haine serait plus juste – de charger le mur qui lui faisait face de ses poings, jusqu’à obtenir des hématomes dignes de ce nom. Elle ne sentait pas la douleur tant ses poumons et sa tête la traquaient. Quelques gouttes tombèrent sur son visage ; les fuites de son appartement n’étaient toujours pas réparées. Elle n’en avait rien à foutre. Elle ne sentait même pas l’eau sur elle. Et elle avait trop mal pour pleurer.
Sergio ne revint pas la voir. Il n’avait pas oublié son amie ; il préférait simplement la laisser au calme pour écrire, ayant parfaitement conscience qu’il avait tiré une corde sensible qui amènerait certainement à un prodige littéraire.
Le chef-d’œuvre semblait cependant bien loin. Et la virtuose composait des do incessants sur le sol avec ses poings devenus bleus. Sa tête l’agressait en permanence ; elle n’arrivait plus à dormir. En plusieurs jours d’acharnement, elle n’avait pas trouvé une phrase, même la plus infime. Pas la moindre syllabe. Rien. Et encore moins. Elle leva la tête vers le crucifix planté sur le mur, comme si elle implorait les grâces de dieu. Elle ferma les yeux et se concentra dans un dernier espoir, mais rien ne se produisit. Elle arracha alors le crucifix et le lança avec violence à travers la pièce. Le choc retentit dans tout l’appartement lorsque le bout de fer frappa un mur, laissant une trace de son passage. Jayden baissa hargneusement ses yeux vers son poing serré et reprit enfin ses esprits. Ses yeux s’adoucirent enfin, et laissèrent s’échapper des larmes qui délivrèrent son cœur emprisonné depuis trop de temps. Elle accourut vers la statuette et la pris doucement dans ses mains, comme pour s’excuser après une infinie culpabilité. L’homme sur la croix fermait les yeux avec tendresse, on aurait dit qu’il pardonnait. Et, comme pour lui indiquer un chemin, la fameuse fuite d’eau laissa des gouttes perler sur les cheveux, puis la tête de l’homme endormi. Les larmes de dieu tombaient sur son fils et l’imbécilité humaine.
La chaleur écrasait les montagnes de San Gabriel. Jayden n’avait rien emmené sur elle, excepté de nombreuses feuilles et un vieux stylo. Elle s’assit sur un rocher ; c’était juste à côté, perdues dans cette infinie végétale, qu’elles s’étaient embrassées la première fois. Elle y repensa et son visage s’adoucit. Elle ne pensait plus à cette chanson, mais à l’amour de sa vie. A cette femme qui l’avait quitté. Pire. A cette femme merveilleuse qu’elle avait blessé. Elle aurait voulu lui implorer de revenir, lui faire comprendre à quel point elle avait été minable. Mais malgré cette envie inassouvie, elle sentit avant tout le besoin de la retrouver. D’entendre sa voix, de sentir son odeur, de voir ses yeux et son sourire. Ces obsessions infinies m’envahir à tel point que je ne pouvais pas tout garder en moi. Je ne sais pas trop comment, mais j’ai pris mon stylo pour caresser le papier. Trouve-moi ici… À notre endroit. À ce monument de pureté qui nous a accueillies en harmonisant la nature entière à la perfection. Et parle-moi. Pardonne-moi… Je veux te sentir… J’ai besoin de t’entendre… Tu sais autour de moi, tout est obscur… Je ne vois plus rien… Je vois tout flou… Je ne sais plus aller ; pour te retrouver… Tu es la lumière… Qui me mène à l’endroit où je retrouverai la paix… Tu es la force qui me fait avancer. Tu es l’espoir qui continue à me faire croire. Tu es la lumière de mon âme. Tu es mon but. Tu es ce qui me rend vivante. Tu es mon fondement. Tu es mes ailes. Tu es mon inspiration. Tu es bien plus que ma vie. Tu es tout… Absolument tout… Je crois qu’une larme coulait le long de ma joue. Je n’avais pas honte. Elle était au-dessus de tout cela, bien plus haut que chacun d’entre nous. Elle était devant mes yeux, comme tatouée, m’empêchant de voir autre chose ; des choses qui n’avaient aucun sens. Je frissonnais. Un peu comme la première fois où je l’avais vue – mais avec plus de force et de douceur encore -, un peu comme cette première fois, où je m’étais sentie conne. Et comment puis-je me tenir à tes côtés sans être émue par toi ?... Les gens ne comprennent pas l’amour, ils ne connaissent pas ce que nous deux, nous ressentons. Ce sont des étrangers. Et grâce à toi, grâce à ce sentiment qui nous partageons, ensemble, nous les surpassons tous. Comme si nous n’étions plus des hommes. Ce sentiment dépasse la possibilité des humains, leurs rêves, leur imagination. Pourrais-tu me dire comment est-ce que ça pourrait être mieux que cela ?... Bien sûr que non. Et personne ne le peut.
Mes yeux se fermèrent doucement. Je songeais à ces larmes de dieu d’une infinie tendresse qui nous ont embrassées cette fois-là. Par ta simple présence, nous étions protégées, comme dans un ilot invisible qui réchauffait les gouttes de pluie. Tu calmes les tempêtes et tu me donnes le repos… Je me sentais comme une gosse, et pourtant j’avais l’impression d’avoir découvert la science infuse. Je savais tout. J’avais tout compris. J’aurais su répondre à n’importe quelle question avec certitude. Des questions que de grands philosophes retournent dans tous les sens, une vie durant, pour ne jamais trouver la bonne réponse. J’étais cette gosse sur qui tu as posé tes yeux. Cette gosse que tu as protégée de tout, grâce à ta grandeur démesurée. Tu me tiens dans tes mains… Tu ne me laisseras pas tomber… Pas même maintenant… Je reviendrais vers toi avec ce regard d’enfant, avec ce sourire ingérable qui t’a touché. Je suis tombée amoureuse de toi dès ce premier regard. Je ne respirais plus. Et pourtant, je n’avais jamais été aussi vivante. Tu voles mon cœur, quand tu emportes mon souffle… Te rappelles tu ce que je t’avais demandé ?... Veux-tu m'emmener ? M'emmener plus loin maintenant…
Étais-je moi-même à cet instant ? Je me sentais seule, et pourtant avec toi. Comme si notre lien était inébranlable, quoi que nous même puissions dire. J’avais envie de te dire tout ce que mon cœur portait. Je voulais écrire tout ce que tu étais, tout ce que tu représentais pour moi. Et plus je me rapprochais de la réalité, plus la tâche me semblait infinie. Et l’éternité n’aurait jamais suffi. Je pourrais passer ma vie à chercher, les mots ne seront jamais suffisants, certainement car ce sont les hommes qui les ont créé ; mais avec ce sentiment que nous partageons nous sommes bien au-dessus de ça. Je voulais persister, continuer cette chanson pour te montrer que j’avais compris ce qui ne s’apprend pas… Car tu es tout ce que je veux… Tu es tout ce dont j'ai besoin… Tu es tout... tout… Tu es tout ce que je veux… Tu es tout ce dont j'ai besoin… Tout... tout… Et jamais je ne pourrais me lasser de répéter sans cesse cette vérité absolue. Je m’imagine devant toi. Tu reviendras. Mais je ne te laisserai jamais plus repartir. Je serai à nouveau comme cette gosse, que je me prépare ou non. Et je serais comme la dernière fois. Et comment puis-je me tenir à tes côtés sans être émue par toi ? Pourrais-tu me dire comment est-ce que ça pourrait être mieux ?... Mieux que cela ?... N’oublie jamais ça… Tu ne le peux pas. Nous ne le pouvons pas. Nous savons que ça n’existe pas… Pourrais-tu me dire comment ça pourrait-être mieux que ça ?...
31 octobre 2000L’album sortait aujourd’hui, avec le douzième et dernier titre " Tout ". Jayden était dans son appartement. Elle fixait le crucifix accroché au mur. " Ecoute cette chanson, vient me retrouver… "
Mais les heures défilèrent, et Breaden ne venait pas. Pourtant pas une seconde ne passa sans que Jayden n'ait cette boule au ventre ; elle ne cessait de se dire qu'elle pouvait arriver d'un instant à l'autre.
Minuit sonna. Mais la porte du palier restait vide.
22 décembre 2000C'était un jour important pour le groupe. Ils donnaient un concert dans lequel ils joueraient les chansons de leur premier album. Mais rien de tout cela n’occupait les pensées de Jayden, si ce n'est qu'elle espérait plus que tout au monde que Breaden assiste au concert. Cela faisait presque deux mois qu'elle attendait Breaden ; sans résultat. Elle ne voulait pas lui courir après pour lui dire qu'elle avait changé. Elle avait besoin que Breaden sache qu'elle avait compris. Qu'elle l'aimait comme l'impossible ne l'autorise pas. Et que Breaden revienne car elle aussi, elle l'aime de la même façon.
Jayden était dans sa loge. Elle essayait tant bien que mal de se coiffer avec le peu de gel qui lui restait. Elle se regarda dans le miroir qui lui faisait face et vit une jeune femme en chemise coiffée avec un pétard. Ses yeux bruns brillaient en pensant avec enthousiasme que l'amour de sa vie serait peut-être présente ce soir. Puis ils se fixèrent sur l'homme qui venait d'entrer dans sa loge. Elle se retourna tandis que lui s'avançait doucement. Il posa sa main grasse sur son épaule et tenta un sourire.
- Tu sais, même si elle ne vient pas ce soir, je sais que tu vas gérer.
- Je n'ai rien à gagner si elle ne vient pas, souffla t-elle en se retournant.
- Jayden, l'album cartonne. Pense à ce qui nous arrive de positif. En plus tu nous as moi et Jon.
Jayden savait bien tout cela, mais sincèrement, elle s'en foutait. Sergio restait planté derrière elle, sans savoir trop quoi dire que Jayden aurait un minimum écouté. Finalement, il mit les pieds dans le plat.
- Tu sais si je peux remplacer Breaden et t'aider à être mieux, je veux bien me sacrifier.
Alors qu'il bombait le torse, fier de sa déclaration qui ne valait pas deux balles, Jayden se retourna et lui colla une gifle qu'il n'avait décidément pas vu venir.
- Personne ne pourra la remplacer.
Elle partit alors de sa chambre en grondant des " Mais qu'il est con ! Mais qu'il est con alors ! Cet abruti d'première qu'est c'qu'il est con ! " Elle croisa Jon sans même le voir, continuant ses insultes qui partaient de plus belles. Jon, qui ne comprenait définitivement pas comment une femme pouvait passer du stade " je ne parle pas pendant deux mois " à " j'insulte quelqu'un sans m'arrêter ", retrouva Sergio dans la loge de leur incompréhensible guitariste et lui demanda, nullement perturbé par sa joue rouge :
- T'es près pour ce soir ?
Sergio fit un signe de la tête et Jon sortit de la loge. Il re-rentra, persuadé que quelque chose n'allait pas. Il observa son ami de la tête au pied et finit par s'exclamer :
- Eh ! Mais tu portais pas le même tee-shirt hier ?
- Si mais j'ai quasiment rien fait hier, et en plus il est trop classe.
- T'as raison !
Et après lui avoir fait un clin d'oeil, il sortit enfin définitivement de la cabine, un sourire aux lèvres.
" L'inconnu " venait juste de se terminer. Jayden avait le coeur serré ; la prochaine chanson était celle qu'elle avait écrite pour Breaden. Mais elle n'était pas là.
Deux heures auparavant- Jon si Breaden n'est pas là j'te jure qu'après "Tout" je me casse !
- T'es complètement folle ?! C'est notre premier concert tu vas pas te barrer en plein milieu merde !
- Tu sais très bien que j'le f'rais.
Jayden caressa les cordes de sa guitare en regardant chaque parcelle de la salle ; c'était vide. Breaden n'était pas là.
- Trouve moi ici…
Et les paroles suivirent au fur et à mesure que ses yeux brillaient. Ceux qui étaient présents dans la salle se turent au lieu de chanter en coeur leur chanson favorite, et la regardèrent. Elle leur offrait un hymne à l'amour d'une pureté qui n'avait encore jamais été trouvé. Chacun sentait son coeur battre en harmonie avec sa voix et les douces notes de la guitare. Jon et Sergio se regardèrent comme s'ils voyaient Jayden pour la première fois. Sergio baissa la tête et se rendit compte de sa débilité. Il comprit que le sentiment que son amie ressentait le dépassait à des années lumière. Imaginez une seconde la force qu'elle dégageait pour que quelqu'un qui se croit amoureux reconnaisse que ses sentiments sont faibles en comparaison ! Jon donna un coup et la batterie commença en même temps que le chant de Jayden.
- Car tu es tout ce que je veux, tu es tout ce dont j'ai besoin, tu es tout, tu es tout. Car tu es tout ce que je veux, tu es tout ce dont j'ai besoin, tu es tout, tu es tout, tout !
Sa voix hurlait dans la grande salle et tous étaient obsédés par cette force qu'elle possédait. La chanson avait disparu. Totalement. Ce n'était plus un chant mais la présence même de l'amour, ce mot que chacun utilise mais ne connaît pas. Jayden balayait tout le monde. Elle écrasait tout ces je t'aime que les couples se disent comme une habitude qui perd peu à peu sa force. Elle exterminait tous ces faux semblants, toutes ces apparences que les gens balancent à leur entourage en laissant croire qu'ils s'aiment. Elle leur crachait à la gueule qu'ils ne connaissaient rien. Rien. Que les mots ne sont rien et que si "je t'aime" devait exister ils n'avaient pas le droit de le dire. Merde, elle leur gueulait tout ça à la face et elle… elle ne s'en rendait pas compte. Elle ne pensait qu'à Breaden. Breaden qui se cachait au fond de la salle derrière un poteau pour ne pas être vue. Elle se sentait épuisée, et finit enfin cet hymne en changeant sans même sans rendre compte les dernières paroles.
- Pourrais tu me dire comment est il possible, de vivre avec ou sans toi mon amour ?
Elle baissa la tête, lâcha sa guitare devenue trop lourde pour elle, et s'en alla. Aucun son ne raisonnait plus. Tous avaient les yeux fixés sur l'endroit de la scène où Jayden avait enchanté chacun d'entre nous. Plusieurs secondes s'écoulèrent. Une femme dont les larmes perlaient sur ses joues frappa ses mains l'une contre l'autre, et lança à elle seule un tonnerre d'applaudissements. Les gens ne hurlaient pas ou ne sifflaient pas pour montrer leur admiration, chacun applaudissait en suivant le rythme de son voisin, et la foule continua ce spectacle plusieurs minutes. Et Jayden ne revint pas.
Le vent s'abattait sur les montagnes de San Gabriel. Jayden était assise sur un rocher ; ce même rocher qui fut témoin de leur premier baiser.
- Je croyais vraiment que tu viendrais, murmura t'elle à l'infini végétal qui l'entourait. Je crois que c'est seulement depuis tout à l'heure que je te mérite… j'me sens fière et pourtant anéantie… Je ne t'aurais jamais dis ça avant mais, je sais que je suis la seule à te mériter. Simplement parce que personne ne t'… ne ressent si fort tout ça.
Elle observa tristement l'horizon, se maudissant d'avoir des idées noires dans la tête. S'insultant de tous les noms de ne pas être capable d'attendre Breaden plus longtemps alors qu'elle le mérite amplement.
- Je t'aime… Tu vois j'arrive à te le dire… réussit-elle à prononcer entre deux raclements de gorge.
Deux mains se posèrent alors sur les hanches de Jayden. Elle ferma les yeux et libéra enfin les larmes qu'elle avait eu tant de mal à contenir. Elle sentit la tête de Breaden se poser dans le creux de son cou, la douceur de sa peau, son parfum ambrosiaque… Tout. J’essayais de me retourner vers elle mais elle serra un peu plus ses mains sur mes hanches.
- Tu m'as tellement manqué… me confia t'elle doucement.
Cette fois elle me laissa me retourner vers elle. Ses yeux me dévisagèrent. Comme si c'était la première fois qu'ils me voyaient de si près. Je ne savais plus quoi dire. Si je devais être solennelle ou au contraire lui sortir une de mes nombreuses conneries. Faire ma romantique, être moi même en fait. Oui mais en faisant quoi ?
- Pas mal la chanson, commença t'elle d'un air futé, mais un peu cucu.
- On fait du commercial, c'est ça qui marche, répondis-je en un sourire.
- Ca marche bof, j'ai pas encore acheté l'album.
- Sérieux ?
Elle se mit alors à rire. Ca raisonnait en moi. Je me sentais enfin bien. Je sais pas trop c'qui m'a prit mais j'm'en fous. Je l'ai serré contre moi et l'ai embrassée en lui offrant tout de ma personne. Ses lèvres m'avaient tellement manqué… La force qu'elle me donnait à chaque baiser. La tendresse aussi. Surtout. Tous nos rêves que chacun de nos baisers concrétisent un peu plus… Ma main se glissa derrière sa nuque… Je pense à ton ventre rond… La main qui était sur tes hanches se met alors à caresser ton ventre. Mon amour comment te dire qu'en ce moment même j'explose de bonheur en moi même… J'en sais rien. Tu es tout et infiniment plus…
- Tu crois que d'autres personnes ont déjà aimé comme nous ? me demanda t-elle en détachant doucement ses lèvres des miennes.
Je lui souris tendrement, et elle m'offrit alors son si beau sourire en retour. Celui qui arrondit ses pommettes et qui fait briller ses yeux. Celui qu'elle fait lorsque le bonheur est trop fort pour elle et qu'elle ne contrôle plus son corps. Celui qui est gravé en moi, car il est à la fois l'unique raison de ma naissance et ma plus belle raison d'exister. Nous possédions en nous l'amour, dépassant ainsi la nature ; la possibilité de vivre sans l'autre était abolie à jamais. Cependant, même si nous choisissions la mort à la séparation, nous connaissons, nous, le bonheur, la vie, l'amour.
On pourrait dire, pour conclure cette histoire, que ce n’est pas l’envie, même la plus sincère, mais le besoin qui crée une véritable chanson. Mais en réalité, la morale de tout ceci s'adresse à mon Amour ; tu es la plus belle raison d'écrire.